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Texte présenté lors
du 126e colloque des sociétés savantes à Toulouse
en avril 2001.
Voici le texte « final », non terminé. Lors de la
présentation de mon travail, plusieurs remarques ont été
faites (par le professeur Contamine...) au sujet de l'absence de sources
originales sur les conditions juridiques de cette genèse. Après
des recherches de plusieurs mois, je n'ai pu retrouver aucun texte ou copie
de l'original attestant de ces conditions. J'ai donc préféré
ne pas communiquer cet article qui posait trop de problèmes. Je
vous laisse juge (si vous avez des idées, ou si vous savez où
je peux trouver les actes d'union de Baloc ou de Ganos à Vic, contactez-moi
d'urgence...).
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L'EXEMPLE DE VIC-EN-BIGORRE (Hautes-Pyrénées)
auteur: Stéphane Abadie 2 boulevard Laguens 32300
Mirande
Résumé
de l'article:
Genèse et évolution d'un territoire communal: l'exemple de Vic-en-Bigorre (Hautes-Pyrénées)
Les territoires communaux contemporains de la plaine bigourdane se caractérisent par leur taille généralement réduite: 500 à 600 ha en moyenne. La commune de Vic-en-Bigorre, avec près de 3200 ha, se présente donc comme une singularité, d'autant que la documentation permet d'en étudier la genèse depuis le moyen âge. L'étude documentaire (fonds communaux et départementaux, Glanages de J.B. Larcher...), couplée à l'étude toponymique et à la prospection archéologique, autorise une série de remarques: les noyaux de peuplement médiévaux décelables sont pratiquement tous implantés sur des sites antiques, et structurés par un important système routier régulier d'origine antique. A partir du 14e siècle au moins, le territoire communal connaît une importante dilatation, par « assimilation » de territoires voisins (par achat de la seigneurie, par la force ou en profitant d'opportunités...). Cette extension prend fin au 16e siècle, alors qu'apparaissent les premiers arpentages mesurant et délimitant définitivement l'espace communal. L'analyse documentaire révèle une série de facteurs, de poids variable, pouvant expliquer cette expansion: volonté de maîtrise de l'espace agricole, hydraulique et forestier, zone de « marche » politique, rôle de la communauté vicquoise et de ses élites, «aide» plus ou moins directe des officiers royaux, faiblesse des seigneurs voisins, rôle parfois positif des événements (guerres) ... A contrario, l'arrêt de cette expansion peut également être analysé: rôle destructeur des Guerres de Religion, puissance retrouvée des seigneurs voisins, poids de la fiscalité et de la politique royale, destruction des fortifications du castrum, déclin de la cohésion communautaire... Cette
étude, limitée par une documentation lacunaire, permet ainsi
de mettre en valeur quelques-uns des « moteurs » du dynamisme
territorial de cette petite ville, d'expliquer en partie son évolution
et de la comparer avec celle des territoires voisins. Au-delà, c'est
la question de la taille réduite des communes de la plaine bigourdane
qui est posée: pourquoi les fusions de territoires ont-elles été
si limitées? A cause de l'originalité de la société
et de la structure de l'habitat? A cause de la médiocrité
de la noblesse locale? Du fait du rôle de « frein » joué
par les élites locales au 19e siècle?
Texte
de l'article:
Genèse et évolution d'un territoire communal: l'exemple de Vic-en-Bigorre (Hautes-Pyrénées)
INTRODUCTION
Les études
portant sur les territoires communaux sont peu nombreuses pour la période
médiévale et moderne. Elles sont encore plus rares pour le
département des Hautes-Pyrénées, à l'exception
de quelques travaux universitaires souvent inédits. A travers l'étude
du territoire de la petite cité bigourdane de Vic-en-Bigorre, nous
avons essayé de faire une analyse diachronique de l'évolution
d'un territoire communal avant la Révolution française. Bien
que le dépouillement des archives soit très incomplet et
que les prospections archéologiques soient très lacunaires,
cette première analyse pourra servir de base de travail et de comparaison,
nous l'espérons, pour l'ensemble de cette zone de recherches.
Les
sources
Les sources documentaires de l'histoire de Vic-en-Bigorre sont relativement nombreuses, si on les compare aux fonds d'autres communes bigourdanes. Plusieurs centaines de notices et des dizaines de volumes de fonds consulaires subsistent, essentiellement sous deux formes: le
fonds des archives communales (Archives Municipales de Vic, AMV) , série
BB et DD, dont l'inventaire sommaire a été publié
par Jean Pambrun en 1924 (transcriptions pour les 16e et 17e
siècles essentiellement).
les
archives transcrites par Jean-Baptiste Larcher dans ses Glanages au
milieu du 18e siècle, en particulier dans les volumes 4, 16 et 25,
dont la transcription d'un inventaire complet des archives communales réalisé
en 1551, qui forme l'essentiel des sources médiévales.
Ces
deux ensembles sont complétées pour le moyen âge par
le
Cartulaire de Bigorre, les différents censiers du comté
(1285, 1300, 1313 et 1429) étudiés par Maurice Berthe, et
quelques documents épars conservés essentiellement par des
transcriptions de Larcher (dans les Glanages, le Dictionnaire,
inédits, et le Pouillé du diocèse de Tarbes
publié à la fin du 19e siècle dans la revue Souvenir
de la Bigorre).
Nuançons immédiatement cette apparente abondance documentaire: la majorité des archives se rapportent aux deux derniers siècles de l'ancien régime. Avant le 16e siècle, on ne possède pratiquement plus de pièces originales, simplement des copies voire de simple notices, et avant le 13e siècle les documents sont presque inexistants. Par conséquent,
pour la majeure partie du moyen âge, c'est à l'archéologie
qu'il faut faire appel, en notant que la commune n'a pas connu de prospection
systématique, et que les rares fouilles sont anciennes et souvent
incomplètement publiées.
I-
Une petite cité bigourdane
Vic-en-Bigorre
est actuellement une petite ville implantée dans la vallée
de l'Adour, à une vingtaine de kilomètres au nord de Tarbes.
Son origine antique comme vicus est attestée par une série
de découvertes archéologiques. Son implantation se justifie
par un carrefour stratégique de voies, sur un gué de la rivière
Echez, affluent de la rivière Adour toute proche, et par la proximité
du puissant Castrum Bigorra (devenu par la suite Saint-Lézer), ancien
centre urbain fortifié de la cité de Bigorre, cité
au 4e siècle dans la Notice des Gaules.
Le castrum de Vic-en-Bigorre aurait été fondé vers 1151, si on en croit une charte du comte de Bigorre Centulle III en partie conservée par une notice de 1551, sous la forme d'une enceinte fossoyée accessible par deux tours-portes opposées. Il fut doté en 1228 de privilèges judiciaires par le comte Boson de Matas1. Les fonctions urbaines de Vic sont bien attestées. Si aucun couvent mendiant ne semble s'être implanté aux portes du castrum (il faut attendre 1609 pour voir s'installer un couvent de Minimes), Vic était le siège d'une importante baylie de 30 communautés en 1313 (23 communautés en 1429) et également le siège d'une judicature comtale (puis royale) dont la marque était une tour-porte qui servait de prison. Le soin porté aux fortifications (construction d'une tour en 1371, de barbacanes...) s'explique par la position frontalière de la petite cité: son territoire voisine à l'ouest la vicomté de Béarn et au nord la Rivière-Basse, sous contrôle béarnais puis armagnacais après 1256. D'un point de vue économique, le castrum bénéficia de la création de deux foires en 1341, à la saint Lézer et la saint Hilaire (saint Vincent par la suite), assortie des droits de taulage (droit sur les étaux) et de souquet (droit sur le vin débité) depuis la même période. La présence d'une série continue de notaires depuis la fin du 13e siècle au moins, attestée par les archives communales, permit également d'assurer l'emprise économique sur la région proche. De fait,
Vic-en-Bigorre fut très tôt une des cités les plus
peuplées de la Bigorre: Maurice Berthe a relevé un minimum
de 416 feux en 1313, et 188 feux en 1429, ce qui en fait avec la bastide
voisine de Rabastens fondée en 1306, la cité la plus peuplée
du nord du comté pour les 14e et 15e siècles.
On retrouve
ainsi les trois fonctions urbaines médiévales principales:
fonction d'encadrement, par le biais de la seigneurie (lieu de justice,
de collecte des dîmes et impôts); fonction d'échange,
par le biais des boutiques, marchés et foires; domination commerciale,
financière et foncière des élites2.
L'origine
de la cité et de son territoire n'ont par contre guère fait
l'objet de commentaires. L'abbé Colomez3
a le premier noté le caractère «composite» du
territoire vicquois: «Le territoire de cette ville était anciennement
moins étendu. Il a été accru en divers temps par les
habitants de diverses seigneuries contiguës, savoir: de Soubagnac,
de Ganos, de Lassalle, de la Navarrerie, de Diouseide, de Las Marties,
avec le droit d'entrée à l'assemblée des Etats de
Bigorre pour la terre de Soubagnac. La communauté de Vic a acquis
toutes ces terres de plusieurs seigneurs particuliers».
II-
La formation du territoire communal
1-
Première approche du territoire vicquois avant le 14e siècle
Les premières
mentions de Vic se trouvent dans le cartulaire de l'abbaye de Larreule
et surtout dans le Cartulaire de Bigorre étudié par
Benoît Cursente. Ces mentions peuvent être croisées
avec l'analyse du cadastre du 19e siècle et les prospections de
terrain. Les données recueillies permettent de localiser une série
d'habitats et de lieux de culte aujourd'hui disparus, d'origine très
ancienne et généralement conservés comme chapelles
jusqu'à l'époque moderne dans tout le territoire communal.
Carte
1 : Hypothèse de restitution du territoire de Vic au 13e siècle,
avec les principaux toponymes (villae et importants casaux)
et lieux de culte identifiés. Le trait gras correspond aux limites
supposées du territoire. Le trait fin correspond aux limites actuelles.
Sur
le territoire de Vic:
Saint
Aunis: déformation de l'hagiotoponyme Saint-Denis. Le quartier
a livré de très nombreux vestiges antiques (présence
probable d'une villa), et des fouilles partiellement publiées en
1988 ont livré le plan d'une église rurale de plan barlong
à abside rectangulaire, mal datée, et entourée d'un
cimetière. Cet édifice est cité dans une visite épiscopale
du 17e siècle, il est alors très délabré et
semble avoir disparu au siècle suivant.
Saint-Germé
de Sillac: le toponyme Sillac évoque un site antique. Le lieu
est cité dans le Cartulaire de Bigorre dans des listes de
redevances au comte (« Cilag »). Dans le fragment de
Pouillé
du 13e siècle relevé par Larcher est mentionnée l'église
Saint-Germé, qui pourrait être celle de Sillac, peut-être
localisable au sud des Artigues. J.B. Larcher, Glanages, t.XVI,
p.208: extrait du nécrologe de La Casedieu, 1360: « XIII
Kalendas julii commemoratio Constantiae de Vico, quae dedit nobis totam
terram quam habebat in Cilag ». AMV BB1630, 30 mars, f°226v:
mention de Junca, prêtre, prieur de Silhac. AMV Terrier de 1708,
f°480: « Messire Joseph de Montesquiou, seigneur comte d'Artagnan
» possède « une metterie, maison, grange, basse-cour
et verger au parsan de Silhac, appellé à Labouverie ».
Le
casal de St Sernin est mentionné en 1274 (J.B. Larcher, Glanages,
t.XVI, p.200: confirmation de la donation du « casal de Sensadarnii
» par Galiane de la Cort, habitante de Camalès et descendante
de Raymond-Arnaud de Camalès). Cet hagiotoponyme pourrait indiquer
la présence d'un lieu de culte lié au casal.
Saint
Vincent: Le lieu est cité dans le cartulaire de Bigorre au 13e
siècle comme redevable au comte. Le quartier de Saint-Vincent, au
nord du castrum de Vic, était au moyen âge proche des terres
des cagots (les chrestias, attestés au 15e siècle).
L'église Saint-Vincent, fouillée au début du siècle,
a livré des traces antiques et haut-médiévales (tuiles
à rebords, fragment de sarcophage en pierre de Lourdes), sans que
l'on puisse savoir si cet édifice aujourd'hui perdu remonte au haut
moyen âge ou s'il s'agit simplement de remplois tardifs.
Sur
les territoires intégrés au bas moyen âge:
Baloc:
Le village (villagia) est mentionné dans le cartulaire de
bigorre et dans les montre et censier de 1285 et 1300. La prospection indique
qu'il s'agit d'un enclos ecclésial implanté sur une villa
gallo-romaine. L'église dédiée à St Barthélémy
fut détruite au 19e siècle.
Saint
Pé de Bassi est un quartier au nord de Baloc. Le lieu de Bassis
est cité au 13e siècele dans le cartulaire de Bigorre. Ce
territoire a livré des traces d'habitat antique et médiéval,
et l'abbé de l'abbaye de Tasque y levait une partie de la dîme.
On peut penser que ce petit territoire (une ancienne paroisse indépendante
? Un casal doté d'une église ?) fut précocement assimilé
par Baloc, avant d'être intégré à Vic en 1363.
Le
site de Soubagnan, étudié en particulier par Claude
Larronde, a livré une plateforme castrale sur l'emplacement d'une
villa antique, un moulin en exploitation au moyen âge, l'emplacement
probable d'une église (trace d'inhumations) et de divers aménagements.
Les Artigues étaient un territoire (de défrichement, comme
l'indique son nom) au bord de l'Adour, intégré avant la fin
du 13e siècle à la seigneuries de Soubagnan. Ce territoire
fut donné en 1276 à l'abbaye de la Casedieu, donation confirmée
en 1490. Claude Larronde y localise l'église de Saint-Martin de
Eringiis mentionnée par Larcher, mais cette localisation est très
incertaine et ne repose que sur une hypothèse non étayée.
Ganos:
curtis
citée en 1108 d'après le Dictionnaire toponymique
de L.A. Lejosne. Ganos est cité parmi les lieux chargés de
redevances au comte de Bigorre au 13e siècle. La seigneurie comportait
un château et un moulin lors de l'achat en 1348. La fabrique de l'église,
détruite avant le 18e s., existait encore en 1760 (J.B. Larcher,
« Pouillé du diocèse de Tarbes », Souvenir
de la Bigorre t.III, p.251). Des maisons se trouvaient au bord de l'Uzerte,
quartier du Saliga (Lacassin, Les annales de Vic, p.53).
Villenave (actuellement au nord de la commune de Caixon) était peut-être, comme son nom semble l'indiquer, un habitat de fondation médiévale. Le lieu est cité, comme le précédent, dans le Cartulaire de Bigorre. Cet habitat semble avoir très tôt échoué, et fut en partie intégré au territoire de Vic, sous la forme d'un quartier (le parsan de Viellenave, dans le censier de 1536 et les suivants). La Dieusaide (la Navarrerie, les Marties, la Serre) est un territoire au nord du territoire de Saint-Lézer. Les gardes de Vic y achètent et louent des terres avant la fin du 15e siècle . Les noms deDieusaide ou Marties évoquent une topographie religieuse. Xavier de Cardaillac et Norbert Rosapelly, à la fin du 19e siècle, ont identifié au lieu-dit Las tumbos un bâtiment de culte entouré d'un cimetière fossoyé comprenant d'une série de sarcophages en pierre (datables du haut moyen âge ou remployés?). L'analyse
documentaire montre une situation complexe: on constate pour les 12e
et 13e siècles la présence d'un semis de petits
noyaux d'habitats dispersés, la plupart tributaires du comte de
Bigorre (redevances en avoine, arciut...) dont certains ont clairement
le titre de casaux, pour la plupart non pérennisés. Certains
semblent avoir créé ou s'être installés près
de lieux de culte, très souvent sur ou à proximité
de sites antiques qui laissent supposer une continuité depuis le
haut moyen âge (Saint Aunis, Saint Sernin, Saint Germé, Saint
Vincent). Le phénomène est identique dans les seigneuries
qui seront intégrées plus tardivement, où à
côté des sièges seigneuriaux (curtis à
Ganos, plateforme castrale à Soubagnan, enclos ecclésial
à Baloc) on trouve des habitats non pérennisés, dont
au moins un (Bassis) semble avoir été lié à
un lieu de culte.
Les
listes de tenanciers fournies par le Cartulaire de Bigorre vont dans ce
sens. Certains noms de tenanciers et de casaux vicquois semblent se rapporter
aux hagiotoponymes repérés: Vitalis de Sent Avini (Saint-Aunis?),
A. de Cilag (Silhac), Guilem de Sent Vicens (Saint-Vincent), lo casal de
B. de Bassi, Na Meliande de Sent Ierme (pour Saint-Germé de Silhac?)4.
On peut
donc envisager ici pour le 12e siècle un paysage d’habitat
dispersé, d’exploitations agricoles (les casaux) et ponctuellement
de lieux de culte, parfois très anciens, qui ont pu regrouper quelques
habitations.
L’analyse
du cadastre montre très clairement le lien qui existe entre ces
lieux d’habitat et les principales voies d’origine antique qui traverse
cette zone : voie, dite poutge, orientée nord-sud menant de Tarbes
à Aire/Adour (Saint Aunis, Vic, Saint Vincent, Baloc, Bassi) ; voie
est-ouest menant au Béarn par Saint-Lézer (Les Marties, gué
sur l’Echez, Soubagnan, gué sur l’Adour, les Artigues). La restructuration
« en étoile » de la cadastration régulière
d’origine antique, au profit du castrum de Vic (dès la fin du 12e
siècle ?), semble marquer la prééminence de la petite
ville et le déclin des noyaux secondaires (qui ne sont guère
desservis par ce nouveau réseau viaire) 5.
Il est
difficile de dater les édifices religieux en l'absence de repérage
précis ou de fouilles récentes. Les vestiges antiques et
haut-médiévaux retrouvés dans certains cas (Saint-Vincent,
Soubagnan, Saint-Aunis), les plans des bâtiments publiés plaident
pour une origine haut-médiévale. Les hagiotoponymes (Germé,
Vincent, Denis, Saturnin) sont traditionnellement donnés à
des édifices du haut-moyen âge. Seul l'hagiotoponyme Pé
(Pierre) pour le lieu de Bassi peut se rapporter aux 10e-11e siècles.
Il est
délicat, en l'absence de textes, de préciser la relation
de ces lieux de culte (et des habitats qui étaient liés)
avec le centre vicquois, et leur processus d'assimilation. Du moins peut-on
supposer, comme le fait Maurice Berthe pour l'ensemble des village pyrénéens,
que ces disparitions sont liées à la croissance des noyaux
d'habitat principaux, par simple dépeuplement progressif des minuscules
villages ou hameaux secondaires (par encellulement à partir du 11e
siècle, période de constitution supposée des enclos
ecclésiaux de Caixon et Baloc? A partir de 1151, date de la construction
du castrum de Vic ?)6.
On peut
donc penser que l'on est ici dans les grandes lignes du schéma proposé
par Benoît Cursente à Ibos pour les 12e et 13e siècle:
une structure polynucléaire, avec plusieurs églises liées
à des casaux, dont une est devenue église paroissiale et
centre de peuplement principal7.
2-
Les assimilations aux 14e et 15e siècles
a-
Les acquisitions
La seigneurie
de Baloc fut unie à celle de Vic en 1363. La notice conservée
par Larcher explique que les fils du sire de Baulat, coseigneur de Baloc,
ont pillé et violenté les habitants. Plantis rajoute que
ceux-ci ont fui leur village « à cause de la guerre
des anglais »8.
La seigneurie
de Ganos fut achetée en 1348 à Pierre-Raymond de Montbrun,
frère de l'évêque de Tarbes (qui était aussi
seigneur de Caixon) pour 60 deniers d'or à l'écu. Les territoires
de La Barthe, La Côte et le Temps-Darré faisaient partie de
Ganos. Il furent revendus presque aussitôt au profit de la communauté
de Vic. Une partie du territoire de Villenave, au nord de l'actuelle commune
de Caixon, fut peut-être détachée également
à ce moment au profit de Vic. On retrouve dans le dénombrement
de 1536 et les suivants la mention d'un « parsan de Viellenave »,
qui doit correspondre à la partie est de ce territoire précocement
dépeuplé.
La seigneurie de Soubagnan et des Artigues fut assimilée plus tardivement. Le territoire des Artigues fut donné à l'abbaye de La Casedieu en 1274, et fut pris en fief par des vicquois à plusieurs reprises (notamment en 1490). En 1496,
les sires de Castelnau-Laloubère étaient notamment seigneurs
de Soubagnan, Las Mues et Liac. Ils tentèrent d'augmenter les redevances
dues par les vicquois pour le passage sur l'Adour, et firent capturer du
bétail. Les vicquois en appelèrent à Madeleine de
Navarre, et un accord fut signé le 10 novembre 1496: les Castelnau-Laloubère
reçurent les seigneuries et villages d'Adé et Saux, ainsi
que l'exemption de taille pour la maison qu'ils possédaient dans
l'enceinte du château de Vic. La reine de Navarre fut largement récompensée
de son entremise (droits sur Liac et soubagnan, cadeaux divers...). Après
diverses péripéties Vic intégra Soubagnan à
son territoire en 15069.
Carte
2 : Les assimilations au territoire vicquois aux 14e et 15e siècles
b-
Les conflits et les échecs au 15e siècle
Les limites
ouest et nord, qui étaient également les limites du comté,
ne firent pas l'objet de tentatives d'acquisitions de terres. Tout au plus
relève-t-on très régulièrement des conflits
d'usage pour les bois et pâturages avec les communautés voisines
du Béarn et de Rivière-Basse10.
Dans
la deuxième moitié du 15e siècle, des tentatives limitées
d'expansion au détriment de communautés bigourdanes voisines
aboutissent à des échecs. C'est le cas, en 1465, d'une tentative
d'usurpation d'un bois de Saint-Lézer, ce qui n'empêche pas
les gardes de Vic, trente ans plus tard, de prendre pied dans cette zone
en achetant ou en prenant en fief des terres11.
A l'est
du territoire, entre Soubagnan, Liac et Sarriac, les gardes prirent en
fief en 1463 vingt arpents de terre. Ces terres furent immédiatement
revendiquées par un sire de Puntous, qui fit échouer le projet
vicquois12.
Sur la
même limite est, les conflits furent nombreux avec les seigneurs
d'Artagnan: des limites mal fixées, des procès à répétition
et un meurtre marquent les relations houleuses entre les deux communautés
entre 1448 et 155113.
3-
Les difficultés de la période moderne et la fin des acquisitions
a-
Les dernières tentatives d'acquisitions
Les deux
dernière tentatives d'expansion territoriale, en 1565 et 1619, furent
un échec.
Le 2
novembre 1565, la communauté de Vic, représentée par
un de ses gardes, acheta les terres de la Dieusaide, la Navarrerie, La
Serre et Las Marties au prieur de Saint-Lézer, sous faculté
de rachat. Celui-ci avait été obligé de vendre ces
terres de Saint-Lézer, avec la terre de Baliron (commune de Camalès)
pour payer une forte imposition. Ces terres étaient convoitées
et partiellement exploitées par les vicquois depuis fort longtemps,
mais ils ne purent les conserver qu'un siècle. Elles furent rendues
au prieur commendataire de Saint-Lézer, M. de Villespassant le 16
mai 167714.
A partir
de 1619, les vicquois entreprirent d'acheter la seigneurie de Caixon à
l'évêque de Tarbes. La transaction, qui se montait à
16000 livres, échoua finalement au profit du puissant seigneur de
Parabère, que les vicquois n'osèrent pas contrarier15.
b-
Un territoire communal menacé
Les
tentatives d'usurpation
On ne relève que deux tentatives d'usurpation de terres vicquoises avant les guerres de Religion dans les archives communales. En 1466, les vicquois demandèrent une lettre de sauvegarde au comte Gaston de Foix, car le seigneur d'Artagnan et son fils tentaient d'occuper un territoire frontalier d'Artagnan et avaient pris des bêtes. Ce document nous apprend qu'un procès existait entre ces seigneurs et la communauté depuis 144816. En 1539,
le sire d'Astan d'Etampes, seigneur d'Artagnan, descendant des précédents,
fit saisir du bétail vicquois dans le bois du Marmajou. Trois bourgeois
de Vic l'attirèrent dans un guet-apens et le tuèrent. Le
procès, mené par la justice de Vic, ne permit pas, de trouver
les coupables. La ville fut cependant condamnée par le Parlement
de Toulouse à fonder un obit à la mémoire du défunt 17.
Passés
les épisodes militaires du milieu du 16e siècle, les conflits
se multiplièrent:
carte
3 : Localisation et date des principaux conflits portant sur le territoire
de Vic-en-Bigorre entre 1450 et 1750. Les chiffres localisent et datent
les conflits. Les flèches brisées correspondent aux tentatives
de captation de territoire ayant échouées.
Vers 1579, les habitants d'Artagnan, soutenus par leur seigneur, le comte d'Artagnan, réclament le droit de pacage au bois du Marmajou. Des violences sont exercées, et les vicquois obtiennent une sauvegarde du roi de navarre en 1580 (Lacassin p.84) Le 10 août 1581, dans un dénombrement, le seigneur de Bénac, sire de Sarriac, réclame la directe de Baloc comme étant de la juridiction et fief de Sarriac. Il est débouté, ne pouvant produire de titres valables (Lacassin, p.54). AMV BB 1591, f°40: nomination d'experts pour trancher le différend entre la ville et les habitants de Lafitole, et éviter un grand procès touchant l'usurpation d'une pièce de terre BB 1605, f°18 v: revendication par l'évêque de Tarbes des terroirs de Caixon et Ganos « qu'il dict estre à luy;... de tant que la ville en a jouy de tout tempz », les consuls feront procéder à la délimitation desd. terroirs à l'aide « de gens vieulx et noveaulx » BB1605, f°28v, 22 mai: Arpentage des terroirs de Caixon et Ganous par l'évêque de Tarbes et Dincamps « voulant approprier le terroir à eulx... sont resoleus pignorer et prandre la betail qui travailleroit lesd. Terres »; 8 juin, recherche de documents que l'on ne retrouve pas BB 1619, fin avril. Délimitation des terroirs de Vic et Sarriac. On a fait venir les anciens et un document « instrument », mais il y a un doute sur six arpents « aux arpens », entre deux potges., terre vendue par la ville le 9 février 1572 à Pierre-Menjolet de Monde. On va chercher le sensier vieux. Contestation de M. de Bassillon fin novembre encore. En mai 1620 on fait appel aux anciens d'Artagnan et de Liac . En 1629, M. de Bassillon lève indûment la dîme de ce territoire BB1629, 1 avril: le Baron de Labatut prétend avoir des fiefs dans la ville de Vic BB1629, juin: les syndic de Lafitole est débouté, les bornes du Marmajou sont maintenues BB1642, 2 décembre, f°117: tentative d'achat par le comte de Parabère du domaine de Vic et Baloc pour 8000 ). le consul de Monde est envoyé à Toulouse pour enchérir à 12000 l. BB1659, f°87v: transport des consuls à Nouilhan pour vérifier les limites de cette communauté/ Plus de 150 arpents de Vic ont été englobés dans l'arpentage de Nouilhan BB1659, f°130: le parlement de Toulouse demande les actes d'acquisition des domaines de Vic et Baloc, faute de quoi le roi les vendra pour obtenir une rente qui servira à la subsistance de ses troupes. BB1659, f°134: M. de Baliron a fait saisir Sobaignan dont il demande l'estimation. Des députés sont envoyés plus tard pour apurer le contentieux En 1698, deux membres de la famille d'Artagnan tentent de devenir seigneurs de Vic, en donnant au roi une terre acquise à Versailles. L'intervention des officiers vicquois introduits à la cour permet de faire échouer cette tentative de mainmise, mais les d'Artagnan gardent le droit de pêche et de chasse sur le territoire de Baloc. En 1730 Jean-Denis de Boutrot, marquis de Campels, dénombre la justice de Tostat, Bazillac, Marsac, Ugnouas et Villenave. Cette justice relevait du carteronage de Vic, mais après procès, en 1743, ces cinq villages sont détachée de la juridiction de Vic. (Lacassin p.128) Vers
1728, le comte d'Artagnan usurpe le titre de sieur de Baloc et du Marmajou,
alors qu'il n'a que le droit de chasse et pêche. Un procès
s'ensuit, gagné par les vicquois (Lacassin, p.133)
En résumé, les conflits sont de deux sortes : ceux
qui concernent la propriété de terrains, bois, pacages… qui
sont le fait des communautés d’habitants, directement intéressées
par l’accroissement des ressources communes
ceux
qui concernent les droits sur ces biens : seigneuries, impôts divers…
qui sont le fait des seigneurs locaux soucieux d’agrandir leur patrimoine
et leurs revenus.
Les
aliénations
Les aliénations furent peu nombreuses, elles correspondent à l'affaiblissement progressif des finances communales, qui nécessitait de trouver rapidement de l'argent frais pour rembourser les créanciers et les frais de justice. Dans un premier temps, ce sont les terres de la communauté qui furent vendues. En 1578, les terres acquises par la communauté sur les territoires de Las Mues, Soubagnan et Baloc furent mises en vente, à l'exception des bois18. Dans un deuxième temps, la communauté ne possédant plus de terres aliénables, les seigneuries secondaires et les droits peu rentables furent cédées19. La communauté,
dans les années 1650, dut se résoudre à aliéner
temporairement sa seigneurie la plus importante, Baloc. Cette solution
se révéla en réalité très coûteuse,
puisqu'il fallut rapidement la racheter pour en éviter la perte
définitive20.
III-
Analyse
1-
Les raisons de l'expansion communale
La
maîtrise de l'espace agricole
La raison
la plus évidente qui permet d'expliquer l'expansion territoriale
de Vic-Bigorre est la recherche de terres arables, liée à
l'augmentation de la population de la ville, qui atteint 416 feux en 1313
(dont sans doute un nombre important d'agriculteurs et éleveurs).
Du 13e au 15e siècle, l'essentiel des acquisitions porte sur des terres labourables, des vignes, des prés... soit sous la forme d'achat de seigneuries entières ou partielles (Ganos, Baloc, Soubagnan, Villenave...), soit de parcelles de terres pour le compte de la communauté. La possession de seigneuries permettait d'en retirer des cens et divers droits 21, la possession de terres permettait de disposer de réserves foncières faciles à vendre en cas de besoin Cela
n'exclut pas une certaine perméabilité: le censier de 1429
et les terriers postérieurs montrent que de nombreux forains possédaient
ou avaient en fief des terres à Vic, en général sur
les marges du territoire, et réciproquement.
Les terres de parcours pour le bétail semblent avoir été une autre préoccupation. Il est difficile, en l'état des dépouillement, de déterminer précisément la surface et l'emplacement des terres communes ou padouens, mais la plupart des bois et des terres qui n'étaient pas en défens étaient accessibles. Les communautés voisines, de Bigorre ou de Béarn, firent l'objet de plusieurs accords pour permettre le pacage de leurs troupeaux sur leurs territoires respectifs22. Les bois furent une autre préoccupation majeure. Les bois acquis à Baloc (la partie sud du bois du Marmajou) ou Ganos (Le bois du Temps Darré ou Tendarré) firent l'objet de soins jaloux. Des gardes s'assuraient que seul le bois mort était enlevé, que les bêtes ne divaguaient pas, que les communautés voisines respectaient les mises en défens (bedat)23. Les contrevenants qui coupaient illégalement des branches ou des troncs vifs étaient immédiatement poursuivis. Régulièrement, dans les registres du 17e siècle, les consuls demandent à chaque chef de famille d'aller planter deux à quatre arbustes (essentiellement des chênes) pour assurer le renouvellement des plantations. Exceptionnellement, en temps de crise ou de forte demande, des arbres pouvaient être abattus pour la communauté ou vendus à des particuliers, pour la construction ou le chauffage24. Les sous-bois
faisaient l'objet d'une attention particulière, en particulier à
l'époque de la glandée: le Grand Bois et le bois du Baradat
étaient réservés aux porcs et pourceaux des voisins,
sous réserve du paiement d'une taxe. Le ramassage des châtaignes
était réglementé et arrenté. Le bois du Marmajou,
partagé entre quatre communautés, fut l'objet de nombreuses
contestations et affrontements entre les gardes et pasteurs des communautés
de Nouilhan, Lafitole et Vic.
Le contrôle
de l'eau fut une autre grande préoccupation. Le creusement du canal
d'Andrest, en 1281, permit aux vicquois de créer un canal d'amenée
entourant le castrum, et également d'alimenter plusieurs moulins
dès le début du 14e siècle. A l'échelle des
parcelles, plusieurs canaux de taille plus réduite étaient
entretenus pour irriguer certaines terres. Au début du 17e siècle,
par exemple, des tractations eurent lieu pour détourner un «fossé
comtal» (barat ou horat condau) qui divaguait au sud
de la commune, au profit des communautés voisines. Les berges de
l'Adour devaient faire l'objet de soins particuliers pour empêcher
sa divagation en temps de crue. Un procès des vicquois avec la communauté
de Lafitole, perdu en 1656, nous montre que les berges devaient être
entretenues par les riverains, si nécessaire plantées de
pieux et devaient être remises en état à leurs frais25.
La
maîtrise de l'espace économique
On peut supposer que l'accroissement du territoire communal permit également d'accroître le « bassin d'approvisionnement » des artisans et commerçants locaux. Par exemple le vin tiré des vignes vicquoises bénéficiait d'avantages fiscaux sur celui qui était importé et détaillé dans les tavernes locales. Depuis 1341, deux foires se tiennent à Vic (à la saint Martin, patron de la paroisse, et à la saint Hilaire, transformé en saint Vincent, patron des vignerons) ainsi qu'un marché hebdomadaire peut-être plus ancien. Une halle en bois entourée d'embans, au sud-ouest du castrum et sur le modèle des bastides, matérialisa jusqu'au 19e siècle l'attraction commerciale de cette cité. Le contrôle des moulins et du droit de ban rentre dans cette logique : les seigneuries de Ganos, Baloc et Soubagnan étaient dotées de moulins (et d’une scierie à Soubagnan avant 1717) qui fonctionnèrent jusqu’à l’époque moderne , au profit des vicquois qui percevaient le droit de ban. L'achat
de la seigneurie de Soubagnan, effective eu début du 16e siècle,
rentre également dans une logique économique: le contrôle
du gué sur l'Adour, qui était la principale source de revenus
pour les sires de Soubagnan, constituait une gêne pour le commerce
vicquois, en particulier pour se rendre au marché de Rabastens.
Il est intéressant de noter que cette acquisition fut précipitée
par la prétention des sires de Soubagnan d'augmenter la redevance
coutumière pour le passage de l'Adour.
Il n'est
pas possible, en l'absence de registres notariés, de préciser
l'emprise économique des vicquois sur la paysannerie locale au moyen
âge. La mention, dans les archives consulaires, de plusieurs notaires
semble indiquer cependant que leur activité était importante
jusqu'au début du 16e siècle au moins. Les registres de l'époque
moderne n'ont pas encore été dépouillés.
En revanche,
le rôle important dans le budget de la ville des taxes et impositions
diverses prélevées sur les territoires assimilés ne
fait aucun doute26.
Le
rôle des élites locales
Les élites
locales ont joué un rôle moteur dans l'expansion de leur cité.
Notons
d'abord le rôle joué par les riches particuliers, moteur économique
de la cité, par l'achat ou la location de terres et de propriétés
dans les territoires voisins de Vic, parfois par leurs donations confortant
l'emprise des institutions (Eglise ou communauté). Un bon exemple
est donné par Jean de Plantis, chapelain de Baloc en 1498, qui fonda
une chapellenie dans l'église Saint Martin de Vic. Son testament
nous apprend qu'il possédait une maison dans le castrum (domo
sive hospitio sito intus castrum de vico), une propriété
agricole à Baloc (corrale, domum, bordam, parcum et casale, cum
suis aliis edificiis, arboribus, plantis et clausuris), une borde à
Ganos entourée de fossés, des vignes à Vic et Saint
Lézer, des terres à Ganos, Baloc, Vic etc27.
Ces élites financières ne faisaient souvent qu'un avec les élites politiques. Les juges
et gardes de la ville étaient à l'origine des achats de terre
et de seigneuries, dont ils nommaient les gardes et surveillaient si nécessaire
l'intégrité28.
Il n'est pas exclu de penser que certaines acquisitions pour la communauté
pouvaient s'accompagner de bénéfices pour les individus concernés.
En témoigne un curieux document daté de 1478, où le
prêtre de l'église paroissiale Saint-Martin, nommé
syndic par des habitants, accuse les juges et gardes de la ville de faire
des transactions pour leur profit personnel29.
Le juge comtal (puis royal) a pu avoir, ponctuellement, un rôle. Il représentait le comte de Bigorre dans sa juridiction, la baylie de Vic, mais n'hésitait pas à favoriser les vicquois dans les cas les plus graves30. En 1348-1349, un sergent royal et plusieurs habitants de la bastide voisine de Rabastens furent blessés par des vicquois. Le sénéchal condamna la communauté de vic à 100 livres d'amende, mais la sentence fut finalement cassée, probablement par l'entremise de ce juge31. Deux
siècles plus tard, l'assassinat du seigneur d'Artagnan par trois
vicquois ne put être élucidé par la justice vicquoise,
qui dut mettre sa plus mauvaise volonté à trouver les coupables...
Enfin,
à l'époque moderne, les officiers de la couronne d'origine
vicquoise, très nombreux à partir du 17e siècle, jouèrent
ponctuellement un rôle. Par exemple Jean-Pierre de Labordenne, prêtre
et aumônier des mousquetaires, et le colonel de Trebons, enseigne
du premier corps des mousquetaires du roi, empêchèrent en
1698 les sires d'Artagnan d'acheter la seigneurie de Vic 32.
2-
Les raisons de l'affaiblissement
Le
poids de la conjoncture
Pour
le moyen âge, on voit très bien que l’expansion vicquoise
est limitée par deux facteurs. Les frontières du comté
ne permettent pas de dépasser les limites nord et ouest acquises
avec Ganos et Baloc. Au sud et à l’est, c’est la présence
de seigneurs puissants qui bloquent toute expansion (les sires d’Artagnan
et de Bazillac, le prieur de Saint-Lézer). La seule tentative, réalisée
sur les terres de La Dieusaide à Saint-Lézer, est finalement
un échec au 17e siècle.
Les guerres
de Religion semblent avoir marqué le coup d'arrêt dans l'extension
du territoire communal de Vic: occupée à plusieurs reprises,
rançonnée, la ville perd la majeure partie de ses moyens
financiers et humains dans les années 1560. Les rares archives montrent
une communauté plus soucieuse de sa survie que de son expansion.
Corollaire classique de cette période de crise, les épidémies apparaissent. En 1590, la peste est conjurée par la mise en quarantaine des malades dans des cabanes construites à la hâte dans les bois et vignes aux limites de la seigneurie, les maisons sont découvertes, les biens infectés sont brûlés, les réfractaires sont abattus 33. Ici l'espace vicquois sert à contenir, autant que possible, une contagion dont on ne comprend pas les mécanismes. Le logement
des gens de guerre semble également avoir eu un poids particulier
pendant tout le 17e siècle et au siècle suivant: les consuls
multiplient les emprunts pour éviter d'avoir à loger des
troupes dans leur cité, et doivent s'accommoder des pillages quand
l'argent manque.
La pression
fiscale royale s'accentue dans la première moitié du 17e
siècle. En font foi les multiples emprunts réalisés
par les consuls aux communautés et seigneurs voisins, et les difficultés
rencontrées pour percevoir les impôts et redevances. Comme
la plupart des communautés de cette période, la commune se
surendette, au point d'avoir à emprunter pour rembourser d'autres
emprunts... L'aboutissement logique est la mise sous tutelle des finances
communales par les intendants. Les immixtions se multiplient à partir
de 1734 (nomination, par le subdélégué de l'intendant,
du médecin et du régent de la commune...), le budget est
entièrement sous contrôle de l'intendant à partir de
1742. Il interdit dès lors les procès avec les communautés
voisines et toute acquisition onéreuse.
La pression
financière des créanciers, très forte à partir
du milieu du 17e siècle, semble avoir eu également un rôle
de frein. Le ralentissement des activités économiques, la
saisie des biens de certains habitants pour forcer de paiement de la communauté,
étaient autant d'entraves au dynamisme économique. Les conséquences
directes sont les aliénations de terres et de droits à partir
de 1659, le surendettement dès les années 1660, et la mise
sous tutelle finale des finances communales en 1742.
La
pression seigneuriale et communautaire
La pression
des communautés voisines et de divers seigneurs, qui tentent de
s ‘approprier des terre sur les marges du territoire, s'intensifie à
partir de la fin du 16e siècle. De 1579 jusqu'à la fin de
l'ancien régime, les registres regorgent d'usurpations, de violences,
de dénombrements faussés. Dans le même temps, on voit
les consuls multiplier les contrôles des bornes marquant les limites
communales, et la rédaction de livres terriers destinés à
limiter les abus. Cependant, à part la restitution des territoires
de La Dieusaide, La Navarrerie et Les Marties à l'abbé de
Saint-Lézer en 1677, et une usurpation par le sire de Sarriac de
quelques arpents de terre, on ne note pas de diminution sensible du territoire
vicquois.
L'affaiblissement
du pouvoir consulaire
Les Guerres
de Religion ont eu une conséquence inattendue: en 1581, les consuls
déclarent que les anciens titres et privilèges de la ville
ont été emportés par les soldats du capitaine Larroque
au siège de Saint-Lézer, où ils ont servi à
bourrer les arquebuses. En 1601, Larroque rend une partie des parchemins
inutilisés lors du siège, à condition de n'être
pas inquiété pour ceux qui ont été détruits34.
Ce manque d'archives entraîne, lors des nombreux procès du
17e siècle, d'innombrables difficultés en l'absence de titres
de propriété. Par exemple en 1647, les consuls font faire
la recherche des documents « aux procès qu'elle a faict de
Ganous ou de la Dieuseyde, ny ayant moien d'en trouver aucun », dans
les archives judiciaires et administratives de Tarbes, Pau et Toulouse 35.
En l'absence de documents écrits, la définition des limites des seigneuries acquises par la communauté, qui est au cœur du problème des usurpations, semble résolue dans les faits sous trois formes: - l'utilisation de chemins ou de limites naturelles (cours d'eau...) ou artificielles (croix...) comme frontières. Dans un certain nombre de cas ces chemins, dont l'origine antique est parfois avérée, semblent marquer des limites très anciennes. -la mise en place de bornes ou fites, probablement en pierre, qui marquaient les limites du territoire, de quartiers « les parsans », de bois, voire de simples parcelles. Ces fites étaient régulièrement contrôlées par les consuls et les gardes, car elles pouvaient éventuellement être déplacées 36. -l'appel
aux riverains, en particulier aux anciens qui étaient la «mémoire
vivante» du paysage, en cas de conflit. Ils sont interrogés
par exemple lors du conflit avec le sire de Bazillac au sujet des limites
de la terre dite des Arpents en 1677.
La
pression du pouvoir royal et le déclin de la cohésion communautaire
A partir de 1692, les offices de maire et de conseillers sont créés par le roi pour remplir les caisses de l'Etat, avec tous les abus que l'on sait. De fait, les maires de Vic passent dès lors plus de temps à tenter de rembourser leur investissement qu'à administrer la cité. Les registres consulaires montrent la multiplication des conflits d'intérêts, en particulier pour des raisons d'argent, au détriment de la gestion communautaire. Par exemple en 1717 la scierie et le moulin de Soubagnan sont aliénés avec d’autres droits pour permettre le remboursement de la charge de maire19. A partir
de la première moitié du 17e siècle, on
voit également apparaître le nom de roturiers devenus consuls
qui ont acheté des terres nobles pour en porter le titre : c’est
ainsi qu’apparaissent des sires de Lasmues ou de Silhac dans les archives
communales.
Avec la multiplication des procédures (en particulier judiciaires) dès la fin du 16e siècle, le pouvoir réel passe entre les main de la cour des comptes à Pau et du parlement de Toulouse, voire de la cour à Versailles. En cas de crise on fait appel au souverain et à la justice, comme l'illustre l'achat de Soubagnan. Ces procédures, fort coûteuses, contribuent à épuiser les finances communales. La conséquence,
somme toute logique, est la mise sous tutelle de fait des finances et du
pouvoir communal par les intendants, qui marque la fin de l'indépendance
consulaire sous l'ancien régime.
Conclusion
Vic-en-Bigorre, petite ville isolée au coeur d'un important espace rural, a joué le rôle de « pôle attracteur » pendant tout le moyen âge et jusqu'au milieu du 16e siècle, drainant les terres, les hommes et les richesse dans un rayon de cinq à dix kilomètres. Vers 1550, son territoire dépasse certainement 3500 hectares. La rupture
peut être placée lors de guerres de Religion. Après
cette longue crise, le pouvoir consulaire affaibli, la pression fiscale,
sociale et foncière accrue permettent à peine le maintien
d'un territoire de 3200 hectares, pérennisé à la Révolution
avec la création de la commune de Vic-en-Bigorre.
On peut considérer que l'aire d'influence de la ville médiévale a trouvé sa suite logique dans le canton (15 communes) et plus récemment dans la création d'une communauté de communes (15 communes, dont Montaner dans le département voisin des Pyrénées-Atlantiques). Si on regarde la carte actuelle des communes des Hautes-Pyrénées, à l'exception des petites villes et gros bourgs comme Tarbes, Maubourguet ou Ibos, ce type d'évolution du territoire ne peut servir de modèle car les communes sont de taille très réduite (en moyenne 500 ha; Villenave-près-Marsac, à trois kilomètres au sud de Vic, a une superficie de 104 ha!). On ne
peut, en conclusion, que s'interroger sur ce maintien des communautés
médiévales, souvent en partie dispersées (force du
casal ?), y compris dans le territoire vicquois et des autres villes sous
la forme de hameaux et de fermes isolées. Peut-être faudra-t-il
chercher la réponse dans le rôle de frein joué par
les élites du 19e et 20e siècle qui ont empêché
les regroupements de commune pourtant nécessaires d'un point de
vue comptable37?
Bibliographie:
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