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J'ai publié cette petite monographie d'une modeste commune de Rivière-Basse en 2000. Il manque encore beaucoup de thèmes à traiter, en particulier pour la période moderne et contemporaine, mais ce n'est que partie remise... | |
6-
Les Lumières du XVIIIe siècle
6-1
Une situation contrastée au XVIIIe siècle
L’intendant de la généralité d'Auch, Antoine de Mégret d’Etigny, dans les années 1760, fit réaliser l’actuelle Route Départementale 935, grâce à des corvées réalisées par les habitants eux-mêmes. Les récriminations furent nombreuses, mais la route terminée, reliant Vic-Bigorre à Aire-sur-Adour, large et bordée de noyers, fut une vraie réussite: deux calèches pouvaient se croiser, les trajets étaient réduits d'autant pour les habitants qui se rendaient au marché de Maubourguet ou de Vic, la poste à cheval pouvait passer chaque jour depuis Castelnau. Les archives du Gers conservent un des plans réalisés pour l'occasion, celui de la traversée de Maubourguet (ADG C293, de 1787). Le terrain conserve la trace de cette transformation récente: au bord de la RD935, il n'existe pratiquement aucune maison: en plaine la plupart des habitations, qui remontent au XVIIIe siècle, sont implantées le long de la vieille route (la causade) et des chemins qui en proviennent. La carte de France de l'ingénieur du roi -d'origine italienne- Cassini, réalisée avant 1784, montre l'état de la région avant la réalisation de la voie Vic-Aire, mais après la reconstruction de la route menant de Maubourguet à Madiran. Soublecause est indiqué par un « château » (sans doute l'église Saint-André avec son donjon médiéval encore en bon état, ou bien le tuco) et le moulin noble, Héchac est mentionné par son église. Barbazan est indiqué comme un simple nom de quartier, et le nom de Lagrace n'apparaît même pas, pas plus que les quelques maisons qui s'y trouvaient encore. La
carte, simplifiant la réalité, a ainsi enregistré
le dépeuplement presque complet de Lagrace au profit des trois autres
seigneuries.
Un
autre indice de ce dépeuplement nous est donné par l'acte
de vente des seigneuries de Labatut et Soubagnac à Bernard de Fondeville,
acte passé en 1776: l'ancienne propriétaire, Anne Henriette
Rivière de Labatut était alors en procès contre le
sieur Dormau de Bernède (à Hères) et les communautés
de Barbazan et Soublecause au sujet du droit de pacage dans les bois frontaliers
de Hères et Soublecause: « [...] ladite dame est actuellement
en instance au parlement dudit Toulouse contre le sieur de Bernède,
au au parlement de Pau contre lesdites communautés de Barbazan et
de Soblecause, le jugement desquelles instances, ledit sieur de Fondeville
se réserve de poursuivre à ses frais et dépens [...]
» (Cité par Jean Castex, Les pays haut-pyrénéens
à la fin du siècle des Lumières,
p.17). Les bois et pacages se concentraient dans les marges humides de
Soublecause et Lagrace, ce qui entraînait de nombreux problèmes
de voisinage pour les droits de pacage.
6-2
Un écheveau juridique
La situation juridique des seigneuries de Rivière-Basse était alors particulièrement complexe: le curé de Lascazères note par exemple en 1783 que la seigneurie dépend de la « Sénéchaussée de Lectoure, Parlement de Toulouse, Intendance d'Auch, Subdélégation de Maubourguet, Election d'Auch, Maîtrise des Eaux et Forêts de Tarbes »... Cet
enchevêtrement était le résultat d'une lente superposition
de droits féodaux et d'offices, qui rendait tout procès particulièrement
complexe, long et coûteux. Le marquis de Franclieu note à
ce sujet:
Je
vivrois content dans ma campagne, n'étoient les procès dont
on y est accablé; on ne peut rien tirer de ses vassaux et emphytéotes
sans leur envoyer des exploits [NdA: mises en demeure] dont ils font peu
de cas, malgré la Chambre des finances de Navarre, qui nous a adjugé
nos droits par un bon arrêt. Quand ils veulent nous résister,
ce n'est plus à ce Parlement qu'il faut avoir recours, mais à
d'autres tribunaux en dix endroits éloignés; par conséquent
il est ruineux et même impossible de donner ordre à tout.
Cela se pourroit en Espagne, où l'on trouve dans la capitale de
chaque province tous les tribunaux dont on peut avoir besoin; cela est
bien différent en France; si j'ai affaire à l'Officialité
de l'Evêque, il faut que j'aille à Tarbe; si à notre
Parlement, à Toulouse; si pour les hommages et dénombrements,
à Pau; si au sénéchal, à Lectoure; si au juge
royal, à Castelnau; si aux Elus, à Auch; si au Domaine, à
Nogaro; si aux Aides, à Montauban. Il faut des procureurs dans chacun
de ces tribunaux, ce qui nous ruine. D'ailleurs, s'ils sont habiles, ils
sont chargés d'affaires et on ne peut en jouir; s'ils sont ignorants,
ils gâtent tout; si fripons, la partie adverse les gagne; on peut
pousser la chose plus loin et dire que la plupart des juges de ces petits
tribunaux se laissent gagner aussi: les paysans s'y entendent à
merveille et ne vont jamais chez eux que chargés de volailles.
Le
budget des communes était très modeste: à Soublecause,
en 1782, les recettes étaient de 249 livres pour 256 livres de dépenses,
dont trente livres pour un régent. A Héchac, en 1786, les
recettes s'élevaient à 529 livres, pour 483 livres de dépenses
(ADG C69 et C73). On peut comparer ces sommes avec les revenus du marquis
de Franclieu trente ans plus tôt: les revenus, comme les dépenses,
étaient réduits au minimum nécessaire.
6-3
La création du marquisat de Franclieu
En 1767 Jean-Baptiste de Franclieu, baron de Busca, pour éviter un risque d’aliénation de ses terres, fit unir en marquisat par lettre patente du roi Louis XV les terres de Lascazères, Hagedet, Soublecause, Barbazan, Héchac, Caussade et Estirac. Le nouveau marquis de Franclieu profitait de la bonne grâce dont il disposait alors au palais royal pour acquérir un titre de noblesse supplémentaire, et pour faire meilleure figure parmi la noblesse locale. Cela ne se fit pas sans mal: les paysans de Lascazères, qui craignaient une augmentation des impôts, s'opposèrent immédiatement au dénombrement de la seigneurie en affirmant que Lascazères relevait du domaine royal et n'était pas un bien patrimonial de la Famille de Busca-Franclieu. Cela entraîna bien entendu un procès et de nombreuses procédures, procès qui ne fut gagné par le Marquis qu'en 1775. Entre temps, la lettre de marquisat accordée par le roi était périmée, car elle n'avait pas été enregistrée par le parlement de Pau! Monsieur
de Franclieu dut donc faire jouer ses relations, et obtenir du Conseil
Royal de Louis XVI un «prolongement de validité» de
sa lettre de marquisat (en ancien français: relief de surannation)
pour pouvoir enfin en jouir après 1775: la procédure avait
duré plus de huit années... (voir par exemple à ce
sujet ADG C433, enregistrement des droits de justice des diverses seigneuries
au bureau des finances de la Généralité d'Auch en
avril 1767). D'autres documents conservés dans la série B
des archives d'Auch nous prouvent qu'un procès fut également
intenté par le marquis contre sa parenté, pour éviter
tout risque de protestation sur l'héritage familial des Busca.
Création
du marquisat de Lascazères en 1767 par le Roi, d'après un
original qui était conservé dans les archives du château
de Lascazères (reproduites dans les Mémoires du marquis
de Franclieu, p.267-268).
Lettres
de relief de surannation sur lettres patentes d'union des terres et seigneuries
de Lascasères et dependances et érection desdites terres
en marquisat sous le nom de Franclieu, en faveur du sieur de Pasquier de
Franclieu.
LOUIS,
PAR LA GRACE DE DIEU ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, à Nos amés
et féaux conseillers les gens tenant notre cour de Parlement,
chambre des comptes, Aydes et Finances de Navarre à Pau, Salut.
Notre cher et bien amé Jean-Baptiste-Madelaine-Isidore-Charles-Laurent de Pasquier, Marquis de Franclieu, ancien capitaine de cavalerie, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint Loüis, nous a fait exposer que par des Lettres patentes données à Compiègne au mois de juillet 1767, adressées tant au Parlement de Toulouze, qu'à la Chambre des Comptes Aydes et Finances de Navarre à Pau, le feu Roy notre très honnoré Seigneur et ayeul, a joint, uni et incorporé les terres et seigneuries de Lascasères, Agadet, Soublecause, Darbasan, Gichot, Caussade et Stirat, leurs circonstances et dépendances, et les a créées, érigées et élevées en titre, nom, prééminence et dignité de Marquisat de Franclieu pour être à l'avenir tenues et possédées audit nom, titre et dignité par l'Exposant, ses enfans, postérité et descendans mâles nés et à naître en légitime mariage, par conséquence l'Exposant s'est empressé de poursuivre l'Enregistrement desdites lettres au Parlement de Toulouze et elles ont été enregistrées le trois septembre suivant, qu'il se disposoit pareillement à la poursuivre en enregistrement devant vous, mais qu'il a été arrêté par les contestations qui luy ont été suscitées sur la propriété patrimoniale de la terre et seigneurie de Lascasères, chef-lieu du Marquisat de Franclieu, dont la revente a été ordonnée par un arrêt de notre Conseil d'Etat du 24 aoust 1768, sous prétexte qu'elle appartenait à Notre Domaine, qu'il a formé opposition à cet arrêt, et que l'instance n'a été jugée que par un arrêt du 30 may dernier qui l'a gardé et maintenu dans la propriété patrimoniale de la terre et seigneurie de Lascasères, en sorte qu'il n'a plus rien a craindre sur la pleine et entière exécution des lettres patentes du mois de juillet 1767, mais comme il a intérêt à les faire enregistrer en notre dite Chambre des Comptes Aydes et Finances de navarre à Pau, il craint qu'elle ne fasse quelque difficulté, attendu que la datte d'icelles se surannée. Pourquoy
il a recours à nos lettres de relief de ladite surannation qu'il
nous a très humblement fait supplier de vouloir bien luy accorder.
A CES CAUSES, voulant favorablement traiter ledit sieur Exposant, nous vous mandons et enjoignons par ces présentes signées de nôtre main que vous ayez à procéder à l'enregistrement de nosdites lettres patentes cy dessus dittes en datte du mois de juillet 1767 düement enregistrées en nôtre Cour de Parlement de Toulouze le trois septembre suivant cy attachées sous le contrescel de notre chancellerie et du contenu en icelles faire jouir et user ledit sieur Exposant pleinement et paisiblement. Nonobstant et sans vous arrêter à la surannation de leur date laquelle nous ne voulons nuire ny préjudicier aucunement audit sieur Exposant et dont nous l'avons de nôtre grace specialle pleine puissance et autorité royale relevé et relevons par cesdites présentes et ce nonobstant tous Edits, déclarations, arrêts et règlemens à ce contraire. Car
tel est notre plaisir. Données à Versailles le 21e jour de
juin, l'an de grace mil sept cens soixante quinze et de Notre Règne
le deuxième.
LOUIS
Par
le roy,
PHELYPEAUX
Cet
acte fut enregistré par le Parlement de Navarre le 11 décembre
1775.
Ce
petit marquisat rapportait 12 000 livres de rente annuelle à son
seigneur. On peut supposer que cette union était calculée
depuis fort longtemps, car des livres-terriers comptabilisant les revenus
de la famille de Franclieu furent entrepris dès 1740 (à Soublecause
notamment).
6-4
Les livres-terriers de Soublecause au XVIIIe
siècle
Un
livre-terrier est l'ancêtre de nos cadastres. Il énumère,
pour chaque propriétaire, l'ensemble des terres avec leur contenance,
leur utilisation et les redevances liées revenant au seigneur du
lieu (le fief ou allièvement).
La famille de Busca-Franclieu fit réaliser au moins quatre cadastres dans les années 1740-1750, en prévision de la formation du marquisat de Franclieu, et pour assurer leurs revenus. Afin
de simplifier la lecture et l'analyse de ces documents cadastraux, nous
en avons repris les éléments essentiels, et l'analyse de
détail pour le seul terrier de Soublecause. Pour les autres seigneuries
nous avons réalisé un tableau de synthèse, avec des
notations historiques et toponymiques sur les principaux points remarquables.
6-4-1
Le livre-terrier de Soublecause en 1740
Le livre-terrier de Soublecause, conservé aux Archives Départementales de Tarbes (en deux exemplaires: 1E907 bis, exemplaire du marquis de Franclieu, et série E-dépôt Soublecause, exemplaire de la communauté), a été réalisé en 1740 par l'arpenteur Bernard Baylac d'Espouey (près de Pau), avec la participation du consul Etienne Nabonne, maître chirurgien, sur ordre de Louise de Busca. Un terrier du siècle précédent, perdu depuis, a servi de base de travail aux deux hommes. Ce
manuscrit ne donne bien évidemment qu'une image tronquée
de la seigneurie: à but fiscal, il ne relève qu'incidemment
d'autres détails, et ne concerne qu'indirectement Barbazan, Héchac
et Lagrace.
Ce document est complété par un manuscrit papier recouvert de parchemin, comprenant 25 folios inscrits, qui note l'ensemble des charges, actes de vente, d'échanges et allivrement pour Louise de Busca pour la période 1744-1749 (E dépôt). Nous
avons synthétisé dans une série de tableaux l'ensemble
des terres mentionnées dans le livre-terrier, celles des habitants
et seigneurs, et celles des paysans forains ayant quelques terres là.
Abréviations: - de surface: j: journal; m: mesure; c: coupet; p: pugnère (un journal valait environ 20 ares). Les mesure, coupet et pugnère correspondaient également en Bigorre à des unités de mesure pour le grain. -
monétaires (pour le fief dû annuellement): l: livre; s: sou;
d: denier (une livre valant 20 sous ou 240 deniers).
Les
terres du marquis de Franclieu, seigneur de Soublecause:
Graphique
de synthèse:
Cet ensemble de terres, qui faisait du marquis de Franclieu le plus gros propriétaire foncier de Soublecause, était composé de deux parties: les
terres sans fief (sans redevances), terres dépendant directement
du seigneur et dites nobles. Ces terres étaient les vestiges probables
de la réserve des seigneurs de Soublecause au moyen âge. Il
s'agit essentiellement du bois du Havet et de quelques terres près
du moulin installé dans la plaine en 1455. En 1740 la plupart de
ces terres étaient en bois, soit que le seigneur désirait
garder ces terres pour la chasse, soit qu'il s'en désintéressait
en partie.
Les
terres à fief, probablement données en exploitation à
des habitants du village ou à des forains.
La
majeure partie de ces terres faisaient partie de la « Métairie
de Héchac », par allusion à la grosse ferme qui servait
de centre d'exploitation pour le marquis. Nous en reparlerons à
l'occasion des troubles révolutionnaires.
Il
existait un autre important propriétaire foncier en 1740, qui vivait
dans une grosse exploitation agricole dans la plaine: Monsieur de Priélé
ou Priellé, seigneur de Lagrace.
Terres
de Mr de Priélé:
Ici
la répartition est déjà celle d'une vraie exploitation
agricole, avec une majorité de terres mises en labour, quelques
vignes pour la consommation personnelle et la vente, des prés et
quelques bois pour les bêtes et le bois de chauffage. Ce personnage
était seigneur de Lagrace, nous le retrouverons plus loin dans le
terrier de cette seigneurie, où il possédait d'autres terres.
Autres
propriétaires de Soublecause:
Exemple
de propriété: les terres d'Etienne Nabonne, consul de Soublecause
et « maître chirurgien » en 1740.
La
répartition de la propriété foncière à
Soublecause en 1740
On peut distinguer 5 petits groupes de propriétaires: les
gros propriétaires: le marquis de Franclieu et Mr de Priellé
les
« gros paysans », qui possèdaient plus de 10 journaux
de terre: le chirurgien Etienne Nabonne, Michel Laburthe, Ignace Lalanne
et Jean Dangais. Leur prospérité était toute relative
cependant, pour ceux qui n'avaient pas beaucoup de vignes ou une autre
activité.
les propriétaires « moyens » (de 5 à 10 journaux de terres): Jean Nabonne, Antoine Planté, Pierre Lafon. Leur propriété devait être à peine suffisante pour nourrir une famille les petits propriétaires, très modestes: la veuve Beulaiguer, Pierre Barrau, Pierre Ladou. Beaucoup de propriétaires forains exploitaient autant, sinon plus, de terres que ces personnages qui étaient peut-être des brassiers ou des artisans. l'Eglise,
avec les terres du prêtre et du presbytère, très modestes:
la seule terre donnée au prêtre en obit (donation testamentaire
en échange de messes) était un lopin minuscule de trois coupets.
L'analyse graphique donne ainsi une image très contrastée des habitants de la seigneurie de Soublecause en 1740: à côté du seigneur, non-résident, et de Mr de Priellé, gros propriétaire, on trouve une minorité de propriétés assez modestes, et nombre de propriétés de petite voire de très petite taille. Si on excepte le problème des occupations artisanales annexes, on peut dire que les habitants de Soublecause en 1740 étaient des paysans modestes, que seule la culture de la vigne, fort lucrative, maintenait dans une relative sécurité. Il
est curieux de constater qu'il n'est fait nulle part mention de biens communaux,
padouen
ou autre. La quasi-absence de troupeau n'explique qu'en partie cette
absence, qui est peut-être liée à l'exploitation de
la vigne et à la présence de nombreux bois seigneuriaux.
La possibilité d'avoir du bois dans les terres du seigneur peut
être une raison de l'absence de ces terres communes. Cette absence
curieuse vaut également pour les trois autres seigneuries.
Les
propriétaires forains (n'habitant pas dans la seigneurie) étaient
plus nombreux que les autochtones à exploiter quelques terres dans
la seigneurie:
Les
gros contingents de laboureurs étaient fournis par les seigneuries
voisines, en particulier Barbazan et Hères. Fort logiquement, plus
on s'éloignait de Soublecause, et plus le nombre d'exploitants forains
diminuait. On peut ici supposer que les habitants de Maubourguet concernés
étaient d'anciens habitants de Soublecause ou de seigneuries voisines
ayant émigré, mais ayant conservé un lopin de terre:
la distance à parcourir semble trop importante par-rapport à
la taille de ces lopins de terre.
6-4-2
Le livre-terrier de Héchac en 1740
Ce
terrier est contemporain du précédent, il fut réalisé
par le même arpenteur d'Espouey, Bernard Baylac, pour le compte de
Louise de Busca. Les habitants d'Héchac, à cette occasion
se réunirent tous sur « la rue publique, endroit ou l'on a
acoutumé de s'assembler » sous la direction du consul Simon
Noguès.
Le
livre est, comme celui de Soublecause, divisé en deux parties: les
terres nobles du marquis, et les terres alliévées exploitées
par les habitants d'Héchac et les riverains.
Les
terres du Marquis de Franclieu représentaient 329 journaux un coupet
une demi pugnère, soit près d'une centaine d'hectares à
la mesure de Vic. Ces terres étaient en majorité des bois
(Bois de Héchac de 90 journaux, près de Hagedet; bois de
la Sourbère, de Bergerou, de Volerou, châtaigneraie de Las
biettes), et quelques prés et labours (pré de héchac,
labour de la Treite, du Baradat, de la Lande de devant et la Lande de Jourdan...).
La pièce de terre la plus intéressante pour nous était
l'ancienne forteresse du tuco, qui appartenait toujours au seigneur
(f°7): « Plus une autre pièce apellée à
la place et ancien chatau qui confronte d'orient avec les limites de Soublecause,
midi avec terre de Barberous et de Trenas, occident avec chemin publicq,
septentrion avec terre de Noguez et limites de Soublecause, de contenance
de dix-sept journaux une mesure ».
Suivent
les terres des paysans de Héchac.Tous, à deux exceptions
près (Jean Péphabet et Jean Dabat Tisseran) possèdaient
une maison sur le territoire, généralement décrite
sous la forme « maison, grange, basse-cour et jardin». Héchac
comptait alors vingt chefs de famille (soit une centaine de personnes ?),
c'est-à-dire bien moins que Barbazan, et à peine plus que
Soublecause.
A
Héchac comme à Soublecause, les exploitants forains étaient
plus nombreux que les autochtones:
6-4-3
Le livre-terrier de Barbazan en 1741
Le
«
cadastre » de Barbazan fut réalisé en 1741 sur ordre
du marquis de Franclieu par Pierre Pourtant, arpenteur de Louey. Détail
intéressant, c'est la communauté de Lascazères dont
dépendait Barbazan qui se réunit pour approuver l'arpentement.
Je ne sais comment la communauté de Barbazan se trouvait alors rattachée
à celle de Lascazères, dont elle était pourtant physiquement
séparée par celles d'Héchac et Soublecause.
La surface arpentée représente 327 journaux 3 mesures 5,5 pugnères, rapportant annuellement la somme de 338 livres 5 sous 8,5 deniers. Malgré sa taille réduite, la seigneurie comptait alors trente propriétaires-exploitants et autant de fermes, certaines dispersées sur le territoire, mais beaucoup étaient groupées comme aujourd'hui le long du chemin de « fond de vallée » (anciens quartiers de Mandron et de La coste). 19 forains exploitaient également quelques terres, venant pour la plupart des communautés voisines. La toponymie, dont nous avons retranscrit quelques exemples, révèle une occupation du territoire dense: présence d'anciennes carrières de pierre, d'une tuilerie toujours en exploitation à cette date... Les
terres étaient exploitées en polyculture, avec quelques prés,
des châtaigneraies, des vignes (de vin blanc et rouge), et des labours.
Les surfaces des propriétés étaient souvent réduites,
ce qui explique la présence de nombreux exploitants de Barbazan
dans les terriers de Soublecause, Héchac et Lagrace.
Un document daté de 1790 et annexé à ce cadastre indique qu'il existait alors huit sections ou quartiers principaux: Le
Louet ou A la rivière
Las
hontètes
La coste Au havet La moulière A Hageou (à Lagrace) Las barthètes La
Coste et parsan de Bidalou
La
complexité des dénominations de terres indique que les seigneuries
de Soublecause, Lagrace et Barbazan étaient en partie imbriquées.
Le
terrier de Barbazan, propriétaires résidents:
6-4-4
Le livre-terrier de Lagrace en 1756
Ce
livre-terrier a été commandé à partir de 1748,
mais il ne fut réalisé qu'en 1756, après de nombreuses
réunions dont la trace est conservée au début du manuscrit.
Cette minuscule seigneurie relevait de M. de Priélé, qui
possédait là une métairie et des terres nobles, implantées
au niveau de l'ancienne villa antique et d'un habitat médiéval
disparu. Les Priellé (Priélé ou Priallé selon
les documents) n'ont guère été étudiés.
Quelques sondages dans les archives gersoises montrent la présence
de cette famille dans la région dès le début du XVIIe
siècle. Le syndic du prieuré de Madiran poursuivit par exemple
en 1635 un Menjolet Priallé (ADG B78, f°426). En 1644, un conflit
opposa Olivier de Canet, seigneur de Tilhet, à François de
Rivière, seigneur de Busiet, et Pierre de Priallé, seigneur
du Sault (ADG B94 f°169). A la même époque une autre branche
de la famille de Priellé résidait à Fusterouau, en
Armagnac, où elle possédait la seigneurie de Lalanne (série
B, cat. p.246 et 250).
Lagrace
comptait en 1756 huit propriétaires-exploitants et autant de fermes
(« maison, grange, basse-cour, jardin, verger, enclos et terres...
»). Les exploitants se réunissaient pour délibérer
sur un chemin (la «voie publique»), sous la direction d'un
unique consul qui était élu parmi eux chaque année.
Ce « cadastre » fut réalisé en février 1756 par Pierre Bazet de Bétracq, en remplacement d'un cadastre de 1680 réalisé par l'arpenteur Serres. Il comprend deux parties distinctes: les
métairie et terres nobles de M. de Priellé (à Soublecause
on trouve la forme Prielé, à Barbazan Priallé), seigneur
non-résident
les
terres alliévées des exploitants du village et des forains.
Le
seigneur possèdait une métairie avec basse-cour et jardin,
et une série de terres, principalement des terres labourables (près
du moulin essentiellement), ainsi que deux vignes, un bois hautin et un
pré. Une terre au quartier de la Moulière et un bois dans
le quartier de Jupon étaient alors alliévés (pour
une somme un peu supérieure à huit livres). L'ensemble de
ces terres représente 122 sacs 3 mesures 5,25 pugnères, plus
5 sacs 3,5 pugnères. La probable correspondance sac-journal n'est
pas précisée, mais cela représente près du
double des terres exploitées par les paysans de Lagrace et des villages
voisins: les deux tiers de la seigneurie appartenaient en propre au seigneur
du lieu. Il faut ajouter à cela les nombreuses terres voisines sur
la seigneurie de Soublecause, jusqu'au moulin de Hagedet.
C'est
dans la description de ses terres que l'on trouve les principaux toponymes
de Lagrace, tous disparus avec le remembrement: à Lareydé,
la barthète, champ de Peiret, au Clauzet, a la Coste, au vergé
du seigneur, à la Chataignerée du seigneur, a Langle, au
Champ du molin, a la Salle, a la Moulière, à Jupon.
Les agriculteurs de Lagrace étaient au nombre de huit et possèdaient tous une ferme. On trouvait également une douzaine de propriétaires forains, qui exploitaient là quelques lopins de terres. On peut remarquer, par comparaison avec Soublecause ou Barbazan, l'extrême morcellement des terres en lopins minuscules, plantés de manière variée: de rares vignes, des châtaigneraies, des hautins, quelques jardins et vergers, et principalement des terres labourables. Seul le seigneur semble avoir possédé un pré ou patus, ce qui était un « luxe » dans cet espace réduit. Il
faut d'ailleurs noter que la plupart des exploitants de Lagrace labouraient
des terres dans les seigneuries voisines, pour compléter leurs maigres
propriétés.
Les exploitants de Lagrace: Ces
terres représentent une surface de 67 sacs 0,75 pugnères
pour une somme de 76 livres 17 sous 7,3 deniers.
Page
Suivante: schéma de synthèse des propriétaires et
exploitants forains des quatres seigneuries vers 1740-1750. La complexité
des exploitations est révélatrice du grand morcellement de
la propriété, souvent répartie dans plusieurs seigneuries
voisines.
6-5
Les traces d'une industrie de la pierre
Au pied de l’éperon qui porte l’église Saint-André et son cimetière, on remarque une excavation considérable, de plan circulaire et d’une dizaine de mètres de diamètre, qui laisse à nu le front de taille d’un banc de molasse. Nous sommes ici en présence d’une modeste carrière de pierre abandonnée, pierre qui servait probablement à la fabrication de chaux, car ce matériau est de qualité trop médiocre pour servir à la taille : les blocs extraits servirent probablement à la fabrication de chaux ou de blocage de maçonnerie. Notons qu’au milieu du XIXe siècle encore deux chaufourniers exerçaient leur métier à Soublecause. Ici cependant la proximité de l’église Saint-André permet d’émettre l’hypothèse que cette carrière fut ouverte dans les années 1750-1760 pour la reconstruction de cette église, qui nécessita des quantités considérables de chaux. Nous n’avons pas encore repéré cependant les fours correspondant à la calcination des pierres pour les transformer en chaux vive, qui doivent être proches. Un four de ce type est conservé à Saint-Lézer : il s’agit d’un trou circulaire d’une dizaine de mètres de profondeur, creusé dans la terre, et doté d’une ouverture à son pied. Les blocs à calciner étaient jetés dans ce trou, intercalés avec des branchages et des bûches. Une fois allumés, ces foyers qui pouvaient monter à une température élevée calcinaient la pierre (essentiellement du carbonate de calcium) qui se transformait en chaux vive. Il suffisait ensuite de récupérer la chaux et de la purifier, pour pouvoir directement l’utiliser dans la construction en la mélangeant à de l’eau (chaux éteinte) et du sable pour former un mortier de bonne qualité. C’est ce mortier qui est employé dans la totalité des bâtiments et clôtures anciens du village, avec des galets roulés et des blocs de molasse. D’autres
excavations de ce type sont repérables dans le quartier de Barbazan,
sur les faces nord et sud du coteau, et à Héchac sur le versant
de Hagedet, qui correspondent aux différents bancs de molasse exploitables
sur le territoire communal.
6-6
Des maisons et des hommes
Un
grand nombre de fermes et maisons du village remontent au XVIIIe
siècle et au début du XIXe siècle. Les
techniques de construction sont toutes identiques : murs en galets avec
angles et ouvertures en pierre de taille (du grès molassique d'origine
locale en général, plus rarement de la pierre de Lourdes
d'importation). L'entrée et les principales ouvertures se trouvent
au sud (cas d'un bâtiment unique) ou à l’ouest (cas d'un bâtiment
en L, ou en équerre) pour se protéger des intempéries.
On
peut observer actuellement quatre grands types de bâtiments anciens
à Soublecause, qui sont principalement liés à la fortune
de leurs constructeurs :
1- Le corps de ferme ou ostau. Réservé aux agriculteurs les plus aisés, il comprend un corps de logis (l’habitation principale), et différentes granges et installations annexes (poulailler, vivier, porcherie, étable, plus rarement pigeonnier). Le bâtiment principal, ou corps de logis, est facilement reconnaissable. Sa façade dérive des modestes châteaux gascons de cette période: souvent un ou deux étages, une entrée principale de grande taille, sur laquelle se concentre la décoration sculptée (sur la clef, et plus rarement sur les montants). Les fenêtres se disposent en général symétriquement par-rapport à cette ouverture. En partie supérieure, au-dessus de la porte, un fronton triangulaire brise la monotonie de la corniche en dents d’engrenage, formée de tuiles, et donne souvent un «air de noblesse» à ces bâtiments roturiers, surtout si la porte en pierre est sculptée. Le crépi ancien, parfois encore visible, soulignait ces éléments: il comprenait au XIXe siècle une série de bandes blanches peintes à la chaux, qui soulignaient les ouvertures et les articulations des façades. Les
granges, de type fort varié, possèdent quelques caractéristiques
communes: de vastes ouvertures en bois ou en briques, pour accueillir bétail
et tombereaux; un fenil à lattis à l'étage, pour le
séchage du foin; une large fenêtre à l'étage,
qui était souvent dotée d'un treuil, pour permettre l'entrée
des récoltes etc.
2- La ferme plus modeste, constituée d'un unique corps d'habitation et d'une grange. Le corps d'habitation n'a pas d'étage, mais les combles sont aménagés pour recevoir des récoltes et possèdent fréquemment de petites fenêtres d'aération qui donnent l'illusion d'un étage habité en « attique » (ce qui est souvent le cas aujourd'hui). Le matériau de construction est le galet noyé dans le mortier, avec des encadrements en calcaire ou molasse, et on retrouve pour animer la façade la corniche en dents d'engrenage avec fronton triangulaire. C'est avant tout la taille modeste de ces fermes qui les distingue des précédentes. Parfois le fronton est décalé par-rapport à l'axe du bâtiment, parce qu'une autre aile était initialement prévue, mais ne fut jamais construite. Une
de ces fermes, dans la plaine au nord de la commune, conserve un curieux
toit extrêmement pentu, sans fronton, avec une brisure au niveau
de la jonction avec les murs (des coyaux). Je suppose, sans en avoir la
preuve, que cette toiture correspond à un ancien toit de chaume
disparu, qui nécessitait une pente de toit plus importante pour
mieux écouler l'eau sur les gerbes. La preuve en est donnée
indirectement par l'état actuel du bâtiment, dont les murs
porteurs s'écartent car la charge actuelle de la toiture, en tuiles,
est trop importante pour la structure des murs. On retrouve ce type de
toiture dans les villages voisins (à Castelnau et Lascazères).
3-
La métairie : c’est le type de maison réservé aux
laboureurs les plus modestes et aux métayers, formé d’un
unique bâtiment, souvent de taille réduite, auquel on a souvent
accolé une petite grange, parfois un modeste fenil. Les quelques
structures annexes, en bois et en terre, ont en règle générale
disparu. Dans ces bâtiments construits plus souvent en terre banchée
qu'en galets, les ouvertures sont généralement en briques,
plus rarement en molasse, et ne présentent aucun caractère
décoratif. Le bâti, ici, a été réduit
à l'essentiel.Ce type de bâtiment, avec le type 2, peut correspondre
aux toponymes bordes et ses dérivés
trouvés dans les livres-terriers du XVIIIe siècle.
4-
La grange isolée. Construites généralement en bois
et torchis en bord de parcelle, et destinées autrefois à
entreposer du matériel et une partie du fourrage, voire des récoltes,
ces granges n'ont pour la plupart pas résisté aux assauts
du temps et à la mécanisation du dernier demi-siècle.
Il en reste quelques vestiges sur le territoire communal, dans un médiocre
état de conservation.
Cet
embryon de typologie « socio-économique » de l'habitat
doit bien entendu être nuancé: les transformations ont souvent
été considérables depuis un siècle, par ajout
de bâtiments, démolitions ou transformations de l'usage primitif.
Par ailleurs on trouve pratiquement toutes les nuances entre les divers
types.
Marcel Drulhe, dans une maîtrise soutenue à Toulouse en 1971, a déterminé une typologie plus « fonctionnelle » de l'habitat gascon en équerre. Nous la donnons pour exemple: 1-maison basse, seuil en pignon à l'est 2-habitation haute avec façade au sud, et annexes (granges et hangars, parfois pigeonniers) 3-habitation au sud-ouest, granges et étables au sud-est (inversion du type 2) 4-angle
droit de l'équerre au nord-est ou nord-ouest. Habitation avec façade
au sud et étage
L'actuelle mairie, ancien presbytère daté de 1838, correspond à une ancienne ferme de type Drulhe 1, ou de type 2 selon notre « typologie »: corps de bâtiment à pignon central, grenier éclairé par de grandes lucarnes, corniche en dents d'engrenage. Seule la disposition de la grange disparue, derrière le bâtiment (au nord) car liée à la proximité de la rue, était inhabituelle. A l'ouest, un muret et un portail marquent la séparation entre la basse-cour et le chemin. Les
deux éléments en grisé sur le plan sont des adjonctions
contemporaines (latrines et local technique)
L'intérêt
de l'observation de l'habitat est qu'il peut être mis en relation
avec un type de société bien particulier, que l'on a qualifié
par le principe de « famille-souche ». Jacques Poumarède,
dans le Dictionnaire des Pyrénées,
définit ainsi ce concept: « La maison rassemblait dans une
forte charge symbolique l'habitat, le groupe humain qu'il abritait et les
biens matériels qui assuraient sa subsistance. Tout à la
fois entité collective, unité économique et mystique
de communion avec les ancêtres, elle était animée d'un
esprit, douée d'une volonté capable de faire prévaloir
sur les intérêts individuels quelques valeurs fondamentales,
au premier rang desquelles figura le maintien absolu de son intégrité
».
En
termes clairs, jusqu'au XVIIIe
siècle, et sans doute dès la fin du moyen âge, l'individu
ne se définissait pas en temps que personne, mais comme membre d'une
maison ou ostau. A Soublecause,
ce phénomène se traduit dans les livres-terriers par le double
nom porté par les exploitants: on conservait son nom de famille
et de maison originel, mais on y rajoutait le nom de la maison dans laquelle
on était établi, par achat ou par mariage. Souvent le surnom
était celui de la maison et des terres exploitées, ce qui
explique la fréquence de certains noms, correspondant à autant
d'exploitants d'origine différente dans une maison-souche (les Richou,
Boué, Bruson...). La présence de deux personnes possédant
un ostau et portant le même double nom révèle d'autres
phénomènes, qui sont difficiles à quantifier: mariages
croisés entre familles, pour éviter l'aliénation de
biens, maintien éventuel des cadets dans l'exploitation pour la
même raison etc.
La
dispersion des fermes sur les terres, sensible dès le moyen âge
à Soublecause et Héchac, s'explique en partie par ce système:
les exploitations étaient autonomes au cœur de leurs terres, et
n'avaient nul besoin d'être jointives aux autres dans un village
groupé. L'actuelle dispersion de l'habitat à Soublecause
provient en partie de cette situation.
6-7
Le Marquis de Franclieu, témoin de son temps
Il
ne subsiste apparemment aucun écrit autre que notarié ou
cadastral des habitants de Soublecause pour le XVIIIe
siècle. Par contre leur seigneur entre 1720 et 1746, le Marquis
Jean-Baptiste de Pasquier de Franclieu, a laissé d'importants Mémoires
manuscrits sur sa vie (publiés en 1896), qui donnent de pittoresques
détails sur la vie d'une famille noble campagnarde dans cette période.
Jean-Baptiste de Pasquier de Franclieu, né en 1680, entra très tôt dans les armes: à vingt ans il participa aux Guerres d'Italie de Louis XIV, puis se battit avec son régiment en Espagne au service du roi Philippe V (petit-fils de Louis XIV, devenu roi d'Espagne) jusqu'en 1723, et y retourna ensuite ponctuellement. Après diverses péripéties, il se maria en 1720 avec Louise de Busca, héritière de la terre de Lascazères, qu'il avait rencontrée aux bains de Barèges alors qu'il soignait ses blessures. Cette épouse attentionnée lui donna dix enfants. Ce
fier soldat, qui n'était en rien gascon, devint par force gentilhomme
campagnard à partir de 1732, et se consacra à la reconstruction
du château médiéval de Lascazères (il est l'auteur
de l'état actuel des façades) et à la gestion de ses
terres.
Outre
quelques remarques sur ses « braves paysans » et le curé
du village (rapportées plus loin), le Marquis fait une description
très juste de la vie quotidienne au château: il rapporte comment
il
dut chasser le précepteur de latin de son fils, qui était
plus occupé à chasser les servantes que les barbarismes,
il raconte par le menu les relations avec ses voisins, leurs bons mots
involontaires...
Chacun sait que la situation financière de la noblesse était désastreuse à l'époque, et qu'elle vivait largement à crédit et au-dessus de ses moyens. Monsieur de Franclieu dut comme les autres s'endetter considérablement pour acheter un régiment à son fils aîné qui voulait faire carrière dans les armes. Par prévoyance, Le Marquis disposait cependant autour du château d'un vaste jardin qui limitait ses frais. Ici,
on est accablé de visites et souvent au moment où l'on va
se mettre à table, ce qui oblige à avoir toujours un fort
ordinaire. Cela ne me dérange guère, moi qui ai toujours
une table de douze couverts, je ne l'augmente pas pour six ou huit étrangers
qui m'arrivent, j'en suis quitte pour faire passer même nombre de
mes enfans a une petite table. J'ai un grand jardin, qui me fournit toujours
cinq à six plats d'entremets par repas, et qui nourrit toute ma
maison pendant le Carème et les jours maigres. J'ai un grand terrain
pour la chasse, plus de onze cent têtes de toutes sortes de volailles
de fiefs, de fermes ou de nos métairies, beaucoup de fruits, quelques
oranges pour des liqueurs et confitures sèches, beaucoup de vin,
si bon que je n'en bois pas d'autre. Ma femme fait faire de grands nourrissages,
tue sept ou huit cochons, une quarantaines d'oies, dont les cuisses mises
à la graisse plaisent même à Paris.
La métairie de Héchac fournissait la majeure partie du vin de ce bon vivant. La chasse fournissait un appoint de viande, en particulier en automne et en hiver. La plupart de ces gentilhommes campagnards étaient des veneurs (la Marquis se raille d'ailleurs de ceux qui n'ont que les chiens et pas l'équipage) et des chasseurs de palombes. Le
baron Dombidau de Crouseilles, voisin des Franclieu dans les années
1760-1770, fut également un grand chasseur de palombes. Chaque automne
il notait ses souvenirs de chasse dans le Madiranais. Par exemple «
le 13 octobre 1768: je suis venu chez le baron de Sus où je serai
cinq ou six jours à la chasse aux palombes. 1 juin 1771: il y a
quelques jours que M. de Perron et moi fîmes une partie de chasse
au lièvre avec M. votre frère. Nous courûmes mal, le
vent n'étant pas favorable» (cité par Christian Desplats,
Village
de France au XVIIIe
siècle, autoportrait, Atlantica 1999).
D'autres
seigneurs étaient moins heureux au milieu de leurs tracas financiers.
Le baron de Giscaro-Labatut, propriétaire du château de Labatut
vers 1740 et criblé de dettes, passait pour un véritable
hors-la-loi, menacé en permanence de saisie sur ses biens. En témoignent
plusieurs lettres de l'intendant Serilly au chancellier royal:
Toutes
les fois qu'on a voulu procéder a exécution sur ses biens
il en a éludé les effets en opposant l'autorité et
la force aux arrets ou sentences des juges... Le château de Labatut
est regardé dans le païs comme une place forte dans un païs
ennemy, aucun huissier n'ose plus en approcher, ils y ont été
mal traités toutes les fois qu'ils s'y sont présentés.
Il y a dans ce château nombre de domestiques, tous gens de sac et
de corde, secondant parfaitement les décisions de leur maître.
Il s'en sert pour mettre à exécution avec violence les sentences
ou arrets qu'il obtient rarement à son avantage, et il employe la
même autorité à empêcher l'exécution de
ceux qui sont fréquemment rendus contre luy (lettre du 23 novembre
1740).
Le
château de Lascazères, forteresse médiévale
rebâtie dans le deuxième quart du XVIIIe
siècle par le marquis de Franclieu. Vue de la façade principale.
La tour cylindrique à droite conserve ses armoiries sur la porte
d'entrée.
6-8
Les paroisses de Héchac et Soublecause en 1784
Plusieurs
documents exceptionnels permettent d'avoir une idée précise
de la vie dans ces seigneuries. Le premier document est une enquête
réalisée pour l'évêché de Tarbes en 1783-1784
(ADHP 1MI77-78), qui fait le « bilan » des deux paroisses de
Soublecause et Héchac. Le deuxième document est formé
par les registres paroissiaux de Soublecause depuis l'arrivée du
père Jean Viau en 1744: celui-ci a noté, année après
année, les grands évènements climatiques... entre
les naissances, baptêmes et décès.
En 1783,
l'abbé Jean Viau avait 78 ans; Il était prêtre depuis
1737, et exerçait à Soublecause depuis 1744, après
être passé par les paroisses de Montfaucon, Labatut et Craste.
Le marquis de Franclieu, haut justicier, l'a nommé à ce poste
dont il avait la présentation.Les revenus étaient modestes:
la dîme était de 150 à 180 livres, surtout en raisin
et blé, et « sujette à la grêle ». Il existait
quatre obits (donations par testaments pour des messes), correspondant
à un pré et trois mesures de terre, plus deux rentes qui
n'étaient plus payées parce que les possesseurs étaient
insolvables « et toujours saisis ». Il n'y avait pas de fabrique
pour gérer les maigres biens de l'église, seulement des marguilliers
annuellement chargés du budget. Il n'y avait pas non plus de coffre
ni de papiers importants: « on ne peut le laisser [le coffre] à
l'église par crainte de vol, attendu que la maison la plus proche
est le presbitaire, et qu'assès à portée est suffisament
distante pour y faire pendant la nuit le coup que l'on veut (sic) ».
Le presbytère où logeait le prêtre possèdait
un étage, deux chambres et un jardin contigu. Il correspond à
l'emplacement de l'actuelle mairie, ancien presbytère reconstruit
en 1838 sur le modèle de l'ancien bâtiment.
Jean Viau s'occupait de 155 communiants, en général « d'un caractère traitable, ils ne sont ni voleurs ni yvrognes, ni addonnés a la villainie. Les trois quarts sont pauvres, ainsi n'ayant d'autre métier que de cultivateurs de la terre, la nécessité de pourvoir à leur nécessaire leur a ôté le loisir et la faculté d'être vicieux. Je fais mes efforts pour que la vertu en soit le principal motif ». Le tableau, on le voit, est plutôt flatteur. Il
semble n'y avoir que peu d'artisans, qui étaient par contre nombreux
à Lascazères, siège du marquisat. On trouvait également
dans ce village de Lascazères deux chirurgiens et le notaire, qui
officiaient dans toute la région.
Par
contre ce prêtre semble n'avoir eu qu'une opinion assez médiocre
de la gent féminine: après avoir indiqué qu'il n'y
avait plus de maître d'école depuis plus de vingt ans, il
précise qu' « il y a dans [sa] paroisse qu'une seule femelle
(sic) qui sache lire, encore c'est une fille étrangère qui
s'y est mariée, jugés de mélange que je ne saurais
souffrir ». Cette absence d'instituteur pose problème, car
les comptes de la généralité d'Auch pour Soublecause
en 1782 indiquent une dépense annuelle de 30 livres pour un régent
(ADG C73).
A Héchac, c'est le curé de Hagedet qui officiait (Héchac était annexe de Hagedet depuis 1757). Le prêtre se nommait Jean Duclos, 61 ans, prêtre depuis 32 ans. Il était précédemment prébendé de la cathédrale de Tarbes, et a été nommé à ce poste par l'évêque de Tarbes. Il résidait dans un presbytère doté d'un jardin, à Hagedet Les deux églises étaient séparées d'un quart de lieue et «accessibles par des chemins faciles» (la poutge). Les deux paroisses comptaient 150 communiants, en majorité agriculteurs, qui étaient « d'assès bon correction. Ils sont obligeans, et en général sans aucun vice dominant ». Il n'y avait pas d'école, comme à Soublecause. Cette absence d'école est à noter. La plupart des villages voisins en possédaient une: à Caussade une petite école accueillait 12 à 15 garçons, à Hères 35 élèves dans la maison commune, à Lascazères 20 garçons sous le porche de l'église, à Labatut 30 garçons, à Madiran 60 élèves. Seules les écoles de Sombrun et Vidouze étaient mixtes, les filles restant en classe « jusqu'à la septième année ». Les salaires des maîtres étaient variables et modestes, de 60 à 150 livres par an, ainsi qu'une mesure de froment par élève scolarisé. Rappelons
pour mémoire qu'il existait à Plaisance, dès le XVe
siècle (!), un maître d'école. Celui-ci est mentionné
dans un inventaire des redevances de l'abbaye de La Casedieu (ADG A7, f°60:
Maeste
Ramon Cortiada, alias Gorret, maeste d'escolas).
Détail
notable, les marguilliers de Héchac étaient nommés
à la Sainte Catherine, qui devait être la patronne secondaire
du village après saint Martin, puisqu'un autel lui était
réservé dans l'église.
On
sait que la langue parlée à l'église était,
outre le latin, le gascon, même si les notaires et les nobles parlaient
et écrivaient en français. Le marquis de Franclieu note par
exemple dans ses Mémoires que le prêtre de Lascazères
«fait de grands sermons tous les dimanches; comme ils sont en gascon
que je ne l'entends point, je m'y ennuie fort, mais ceux qui l'entendent
m'assurent qu'ils s'y ennuient autant que moi, les paysans même prétendent
qu'il ne fait que répéter dix fois la même chose...
» (p.223). La constatation n'est guère différente en
1887: l'instituteur note alors que les paysans entendent et comprennent
bien le français, « mais que leur langage habituel est le
patois ».
Jusqu'en 1789, la dîme (le dixième des récoltes) était levée sur l'ensemble des terres de la paroisse. Initialement réservées au prêtre et à l'abbadie, ces sommes étaient au XVIIIe siècle dispersées entre diverses personnes et institutions (les décimateurs), qui n'avaient souvent rien à voir avec Soublecause, ce qui contribuait à accroître le mécontentement des paysans. Le
curé de la paroisse ne touchait lui-même qu'une fraction réduite
de cette rente, la portion congrue.
Le marquis de Franclieu touchait une part notable, au titre de descendant
des anciens abbadies du village. L'archidiacre, la fabrique (chargée
de l'entretien de l'église) et le chapitre de la cathédrale
de Tarbes touchaient le reste. Le chapitre de Tarbes, puissant organisme
financier, possédait au XVIIIe siècle de nombreux
revenus dans tout le diocèse, soit par don, soit par achat. Dès
1483 par exemple, les chanoines achetèrent la dîme de Tieste
à l'archidiacre de Ladevèze, Auger de Tieste, pour 300 écus
(ADHP G232).
Un
cahier de 1771 tiré des anciennes archives de l'évêché
nous donne le détail, très complexe, de ce partage (ADHP
G76 f°34 sq).
Soublecause La
dime se paye au présent lieu de toute sorte de fruits sans distintion,
des légumes qu'on sème aux champs, du vin, lin, laines, agneaux
et chevreaux et oisons de dix un, et lorsqu'il n'y a que cinq agneaux et
moins de dix on paye six liards et de même des chevreaux, et pour
les oisons un liard s'il y en a moins de dix. Les décimateurs sont
le sieur curé, le chapitre de Tarbes, l'archidiacre de Rivière
Basse, la fabrique du présent lieu, et Mr de Franclieu seigneur
et patron du présent lieu.
Le partage en est fait comme suit, sçavoir dans le quartier de la grande dîme de cinq portions le sieur curé en prend trois, sur quoi il donne au chapitre 20 livres et a l'archidiacre 4 livres et le seigneur du présent lieu prend les deux restantes. Dans le quartier de l'église, le sieur curé et ladite fabrique de l'église partagent par égale portion. De plus le sieur curé jouit d'un excusat sur les terres de la métairie de Havet. Nota: Mr de la Roche Aymon n'explique pas le partage de la dime. Ce qui en a été dit ci-dessus est pris du verbal de Mr de la Romagère. Mr
de Poudenx en parle comme suit: de seize portions esquelles la dime est
divisée dans le terroir de Soublecause, a la réserve du quartier
appellé de Barbasan, le sieur curé en prend neuf et quart,
depuis qu'il est congruiste, le chapitre et l'archidiacre lui ayant abandonné
leur portion, et les six et trois quarts restantes sont prises par le seigneur
du lieu. Et au quartier de Barbasan la dime est partagée par égale
portion entre le sieur curé et la fabrique, le curé jouit
encore d'un excusat.
Autre verbal concernant Soublecause de Mr Salvat Diharse en 1727. Il fut déclaré que la dime étoit payée en bleds, vins, lins, laines et agneaux, et qu'elle etoit de seize portions, le recteur en prend quatre, l'archidicre trois, le seigneur en qualité d'abbé de Barbasan six et trois quarts, le chapitre deux et quart, au parsan de Barbasan de cinq parties du terroir la fabrique prend de seize douze, et le reste le recteur. Aux autres parties de Barbasan, le recteur prend quatre, l'archidiacre trois et quart, et ledit abbé six et trois quart, et le chapitre de Tarbes deux et quart. Nota:
il se trouve un quart de portion de plus qu'il n'y a de dime, il est vrai
semblable qu'on a donné à Mr l'archidiacre un quart qu'il
ne doit pas avoir au quartier de Barbasan, et qu'il ne doit prendre dans
ce quartier que ce qu'il prend dans le grand dimaire, c'est à dire
trois sur six et que le chapitre prend autant audit quartier de Barbasan
qu'il prend au grand dimaire, on croit que l'erreur tombe sur ce qu'on
donne à l'archidiacre.
6-9
Un prêtre climatologue
Le
prêtre de Soublecause, Jean Viau, a également noté
dans ses registres paroissiaux tous les évènements climatiques
qui lui paraissaient dignes de mention (nous n'en donnons ici que quelques
extraits):
«
1764 [...] une grêle qui arriva le 5 août par quatre reprises
à 6 heures du soir avec un orage des plus furieux emporta selon
le commun aveu plus de 3000 barriques de vin depuis San-Sébastien
en Espagne jusques aux portes de Toulouse [...] Soublecause fut abîmé
jusques à l'église. Jusques Anjou le tiers et par Barbasan
fort peu. Le vin se vendit 90 livres, à Madiran 80 [...]
1765
Cette année a été sans orage, un chaut continuel jusques
à la Toussaints qu'il pleut, et à la Saint-André recommencèrent
les pluies. On n'avait jamais, dit-on, vu les eaux aussi hautes. La récolte
de froment a été modique, celle du milloc malgré les
chaleurs a été assez bonne [...] .
1767
[...] vin vert, sans goût ni couleur; avec tous ces défauts
il s'est vendu [...] à 10 et 12 pistoles. Depuis le 21 jusques au
24 du présent mois, il y a eu un déluge qui a ravagé
toute la rivière du Louet dans cette paroisse qui était ensemencée.
1770
[...] le vin, fort mauvais, sans couleurs, et un tiers seulement du récolte
s'est vendu, 16, 18 et jusque 20 pistoles. [...]
1771 Cette année nous n'avons eu d'autres froids que les énoncés l'an dernier. Le printemps a été assez beau , l'été a été constant en chaleurs excessives. Elles ont duré jusques 8 jours avant la Saint-André de sorte qu'on disait à la foire de Baignères où j'étais que les anciens n'avaient jamais vu un temps aussi constamment beau, ni de foire plus belle, il falait chercher l'ombre comme au mois d'août. Le
bétail maigre à cause des chaleurs, et ici dans la plène
le monde avait maigri et était devenu fort noir; avec cela il n'y
a pas eu de maladies [...].
1774
La maladie des bestiaux qui a ravagé la Chalosse, Basque, Béarn,
Saint-Lanne, Madiran, tout le pays devant Condom [...] ne s'est pas encore
faite sentir ici. [...] Peut-être je donnerai la relation de cette
maladie inconnue qui depuis 1746 ravage l'Europe. »
(Cité
également par Jean Castex, Les pays haut-pyrénéens
à la fin du Siècle des Lumières,
p.25-26)
6-10
Données démographiques
Les
archives conservées à Tarbes permettent de suivre l’évolution
globale de la population des villages. Le XVIIIe siècle
fut un siècle « riche », car la population augmenta
régulièrement (et ce jusqu’aux années 1870) : 25 feux
(maisons habitées) en 1713, 28 feux et 144 habitants en 1741, 155
communiants en 1783 pour le seul Soublecause. De même à Héchac
on compte vingt feux en 1740, et 150 communiants en 1783. Les statistiques
donnent le chiffre de 440 habitants vers 1795 pour les quatre seigeuries
réunies sous le même nom de Soublecause.
La population de la seigneurie de Soublecause au XVIIIe siècle
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