Soublecause



Bibliographie * Documents (textes) * Documents (graphiques)
J'ai publié cette petite monographie d'une modeste commune de Rivière-Basse en 2000. Il manque encore beaucoup de thèmes à traiter, en particulier pour la période moderne et contemporaine, mais ce n'est que partie remise...

I- L'ESPACE GÉOGRAPHIQUE

1-Généralités
 
 

Soublecause est une commune de 613 hectares, ce qui la classe parmi les communes de taille moyenne du département. Elle est implantée au nord du département des Hautes-Pyrénées, canton de Castelnau-Rivière-Basse, au nord de Maubourguet, dans l’ancienne vicomté de Rivière-Basse disparue au XVIIIe siècle. 

Elle confronte les communes de Labatut-Rivière et Caussade à l'est, Hagedet au sud, Bétracq (Pyrénées-Atlantiques) et Madiran à l'ouest, Castelnau-Rivière-Basse et Hères au nord.
 
 

Cette commune peut se partager grossièrement en deux «blocs» géographiques: à l’ouest, un coteau aux reliefs vigoureux et tourmentés, assez large et aplani pour créer un petit « plateau » naturel, et qui forme une marge de la vallée de l’Adour. A l’est se trouve une plaine inondable, la vallée du Louet, assez humide et fertile, affluent de l'Adour qu'il rejoint peu en aval.

Les altitudes sont le témoin de cette double nature: elles s'échelonnent de 148 mètres, en plaine, à 266 mètres au sommet du coteau, soit un maximum de 118 mètres de dénivelé.

Cela semble une évidence, mais encore faut-il rappeler que cette disposition communale est très fréquente et utile: les habitants ont pu ainsi depuis fort longtemps profiter des avantages des deux types de sols et de reliefs. La colline offre une position élevée, non inondable, facile à fortifier et à défendre, avec des bancs irréguliers de molasses, une pierre de mauvaise qualité mais transformable en chaux pour faire du mortier à bâtir, et de l’argile propre à modeler et cuire tuiles et briques. Les sols bien orientés sont favorables à la vigne et au maintien de réserves de bois et de pacages. La plaine, irrigable, est favorable à la circulation, et à la culture des céréales et des prairies temporaires, aujourd’hui à la culture du maïs.
 
 

Le deuxième grand caractère de Soublecause est son ouverture nord-sud: toutes les voies principales sont orientées dans ce sens, alors que le coteau barre en partie l’accès vers l’est, et divers cours d’eau vers l’ouest.

Ces voies sont extrêmement intéressantes, d’autant qu’une d’entre elles a donné son nom à l’ensemble.
 
 

La première grande voie est le chemin de la poutge, qui passe au sommet du coteau. La proximité de cette voie et d’une série de sites protohistoriques et antiques indique qu’il pourrait s’agir d’une des plus anciennes routes de la région, antérieure à notre ère - même si elle est goudronnée aujourd’hui et semble tout à fait moderne.

La deuxième voie importante est la vieille route, qualifiée par endroit de caussade ou poutge herré, (vieux chemin « ferré », au sens obscur, peut-être lié aux fers des chevaux et des chaussures que l’on y perdait sur ces mauvais chemins de pierres, ou bien à des remblais de scories métalliques).

Cette caussade passe au pied du coteau; la plupart des habitations y sont encore directement reliées, car c’était la seule route de plaine nord-sud avant la réalisation de l’actuelle Route Départementale 935 au XVIIIe siècle. La proximité d’une série de sites antiques, récemment mise en valeur par le maubourguetois Sylvain Doussau, fait supposer qu’il s’agit d’une route créée autour de notre ère par les gallo-romains (il y a donc environ 2000 ans).

Le troisième axe est constitué par les cours d’eau de plaine. Le principal est le ruisseau du Louet et sa double dérivation, le canal du moulin, qui sert encore aujourd’hui à alimenter le moulin de Soublecause et celui, ruiné, de Lagrace. Nous y reviendrons. Même si on ne pouvait pas y circuler directement, l’eau apportait de l'énergie pour les moulins et surtout le précieux liquide pour l’irrigation et la pêche.

La dernière voie enfin est le chemin de fer, créé il y a presque un siècle et demi par Napoléon III (inauguré en 1859).
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

2-La toponymie
 
 

Le premier réflexe du curieux qui cherche à connaître l'histoire d'une commune est généralement de se pencher sur les cartes. Pour Soublecause, la démarche est essentielle, surtout quand on prend le soin de consulter les documents les plus anciens, qui remontent ici au XVIIIe siècle (carte dite de Cassini, livres-terriers de 1740-1756, sous forme manuscrite, et cadastres contemporains). 
 
 
 
 
 
 

Extrait de la carte de Cassini, région de Maubourguet
 
 
 
 

Les strates toponymiques et linguistiques s'y révèlent comme sur un palimpseste, où les noms les plus anciens apparaissent, presque gommés, sous les noms de lieux les plus récents. 

Ici qutre grandes strates toponymiques peuvent être détectées:

    de rares noms prélatins, au sens souvent obscur
    quelques noms gallo-latins, qui remontent à l'antiquité et antiquité tardive.
    quelques noms en langue romane, qui se rapportent à une réalité médiévale. Ils sont parfois difficiles à distinguer de la catégorie suivante.

    La plupart des noms de lieux actuellement employés, d'origine gasconne, parfois francisés sur les cartes actuelles.

Nous n'avons guère repéré de noms en français, dont l'usage local remonte seulement à un siècle, et qui n'a pas encore pu apposer ses caractéristiques linguistiques sur le paysage. La carte IGN et le cadastre francisent parfois abusivement certains noms.

 
 

Les noms les plus anciens sont trois noms de seigneuries médiévales et modernes: Soublecause, Héchac, Barbazan, ainsi que le nom du ruisseau et quartier de Sarran, à l'ouest d'Héchac.
 
 

Soublecause est un nom composé de sub la caussa, « sous la chaussée » (caussa, comme dans caussade, vient du mot latin calceata qui désigne la voie antique empierrée). Ce nom fait référence à la proximité de la voie caussade ou poutge herré, qui est «l'épine dorsale» de la seigneurie médiévale de Soublecause.
 
 

Héchac, Sarran et Barbazan désignent des noms de propriétés gallo-romaines, sous la forme nom du propriétaire+ suffixe en –acum ou -anum. Ici les linguistes ne sont pas tous d'accord pour déterminer le nom qui se cache derrière le village. On peut proposer, sous toutes réserves quant à la forme du nom:

    Héchac (Fissag au XIIe siècle)= Fissacum, le domaine de Fexus ou Fixus (?)
    Barbazan (Barbazano au XIVe siècle)= Barbatianum, le domaine de Barbatius (?)
Sarran désigne un quartier et un cours d'eau à l'ouest du territoire de Héchac. Il pourrait désigner un nom d'exploitation antique comme les précédents (du type Sarius ou Serenius + -acum), mais ce nom n'est pas signalé dans les livres-terriers du XVIIIe siècle. Il est par contre celui d'un exploitant forain de Bétracq dans le livre-terrier deHéchac en 1740 (le sieur Sarrant). Je ne sais s'il s'agit d'une coïncidence, ou si après 1740 le quartier et le ruisseau gardèrent le nom de cet exploitant ou d'un membre de sa famille. On trouve également la forme fontaine de Sarran quatre kilomètres plus au nord, sur le territoire de Castelnau-Rivière-Basse.

Si Barbazan ne désigne pas non plus les seigneurs médiévaux de cette petite seigneurie, on peut supposer que deux ou trois exploitations gallo-romaines étaient implantées là dans l'antiquité, dont un des propriétaires a laissé son nom à l'ensemble des terres, qui est devenu par déformation celui des villages et seigneuries implantés là au moyen âge.
 
 

On peut enfin noter le nom donné aux deux voies les plus anciennes, poutge et poutge herré ou caussade, dérivés du latin également.
 
 

La deuxième strate toponymique se rapporte à l'époque médiévale. Notons immédiatement la dédicace donnée aux églises: Saint-Martin-de-Héchac (haut moyen âge?), Saint-André-de-Soublecause (XIe-XIIIe s.?), église disparue Notre-Dame-de-la-Grâce à Lagrace (avant 1278). On ne sait avec certitude s'il existait une église à Barbazan, mais on trouve trace d'un abbé laïc au XVIIIe siècle..
 
 

D'autres noms, conservés dans une forme ancienne de gascon, rappellent des réalités médiévales disparues: le tuco est le nom porté en 1740 par la motte de Héchac (la racine tuc désigne une éminence, et se rapporte ici à la motte castrale disparue). On trouve à proximité le toponyme laplace, qui désigne sans doute l'ensemble de la forteresse sous une forme francisée, et un curieux aus palencqs, qui peut désigner un lieu planté de palissades (dérivé de pieu, pal) ou des passerelles.

A Soublecause le quartier des Domengeres désignait des terres nobles (tenues par un seigneur, dominus, d'où le nom de « terres du seigneur », domengeres ou domenjadures). Ce type de terres et de personnages, étudiés par Benoît Cursente, correspondait au plus petit échelon de la noblesse gasconne, à la frontière de la paysannerie dont elle ne se distinguait guère. On trouve également dans le terrier de 1740 la forme Doumengeres pour désigner une châtaigneraie qui poussait là.

A Lagrace, deux toponymes voisins signalés en 1756, La salle et La crouts, révèlent respectivement la présence d'une salle seigneuriale disparue (demeure noble des sires de Lagrace), et d'une croix qui marquait probablement au XVIIIe siècle l'emplacement de l'église disparue Notre-Dame de La Grâce, à l'emplacement de la villa antique.

A Barbazan, un unique toponyme Castera semblait au XVIIIe siècle désigner la forteresse protohistorique, peut-être remployée au moyen âge.
 
 

D'autres toponymes se rapportent à des défrichement médiévaux: par exemple le bois de Lartigue, connu en 1740, à Soublecause, à la frontière entre Barbazan et le Louet (vers Lagrace?); les quartiers de Lartigue, Artigue remat, Treite, Couture à Héchac désignent des terres défrichées et/ou exploitées au moyen âge. Artigue (forme prélatine artica) est le nom fréquemment donné aux terres défrichées entre le XIe et le XIIIe siècle. La forme Artigue remat peut désigner une zone maintenue en culture après défrichement (du verbe remar, maintenir ?). Dans le même esprit, treite ou treyte est issu du gascon treitejar, défricher, écobuer. Couture et Coutureu dérivent eux du latin cultura, le champ cultivé.
 
 

Le reste des toponymes, en gascon également, est de datation plus délicate. Nous avons employé ici les terriers modernes et la carte de Cassini:
 
 

Certains noms se rapportent à l'exploitation des ressources naturelles:

Lasrocs (carte de Cassini) désigne des bancs de molasse exploités pour en faire de la chaux, dont les carrières sont encore visibles, mais indatables (exploitation dès le moyen âge ?). La même remarque vaut pour les quartiers de La teulère et Las téoulères (les tuilières) à Héchac, Barbazan et Soublecause, cités vers 1740. L'incertain Garrou (racine préromaine gar- désignant une pierre ou un relief) pourrait se rapporter à un endroit pierreux, comme une carrière. De même l'obscur Carreix pourrait contenir cette racine gar-/car-.
 
 

Mouly bieilh rappelle le souvenir d'un « vieux moulin » de Lagrace. Labourdace (la bordassa) en 1740 signale la présence d'une grange ou d'une grosse métairie, peut-être abandonnée (suffixe –assa).
 
 
 
 

Les chemins sont indiqués par les toponymes la poutge (voie d'origine antique ou protohistorique passant sur la crête de Héchac et Barbazan), carrère et bia (du latin via, la route, le chemin) sous la forme Cam deu bia à Héchac et Las biasses à Lagrace. On n'oubliera pas également la forme caussada, attestée dès le XIIIe siècle pour la voie principale de Soublecause.
 
 

D'autres noms sont plus descriptifs, et se rapportent à l'eau sous toutes ses formes:

Le Goua et le Goua de carrère désignent des gués du Louet (la carrère est un chemin ou un nom de personne). Larriu signale un ruisseau. Le Cap de la bartète est la «tête» ou avancée d'une petite zone humide ou marécageuse. Larrecque (d'arrec-/ arriu-, le cours d'eau) peut correspondre à une zone humide, un ruisseau, ou une zone d'écoulement des eaux. Las moulières fait également référence à une zone humide. Moulias peut aussi désigner une zone humide, comme le précédent, ou la présence d'un moulin.
 
 

D'autres toponymes caractérisent encore le relief:

Le Truquoulet, comme le Tucoulet, désigne une petite éminence, naturelle ou non (racine tuc avec un double diminutif -ou et -et). Truquaillé pourrait avoir la même origine, à moins qu'il ne s'agisse du surnom d'un ancien propriétaire particulièrement bagarreur (trucalhèr). Plus évident, la coustete est le nom d'une petite côte. La baiche ou bache est le nom donné à une vallée, souvent boisée. Le quartier du Maupas devait comprendre un mauvais passage. 
 
 

Très fréquents sont les noms qui présentent des particularités culturales:

Camgran désigne littéralement un champ de grande taille, et les Cournères des angles de parcelles.La Boubée rappelle la présence de boulbène (bobea), terre argilo-siliceuse à fort potentiel agricole. Le Courtet désigne un petit espace, éventuellement clôturé. La plante et La plantette correspondent à des zones plantées à l'époque moderne, par exemple des vignes. Le Plechot (de pleix) désigne la haie vive, éventuellement employée dans un but défensif. Le Bousigot est un petit endroit défriché (à rapprocher de l'artigue). Le Bousquiet est un bosquet d'arbres (bosc plus un diminutif -et). Las dourouillats pourraient désigner un bois débité en rondins (de deurolhar, débiter?).

D'autres microtoponymes semblent se rapporter à la flore locale:

Larrebicou (rebicou ou arrabic) désigne la plante dite patience sauvage ou Rumex, assez semblable à une petite rave (arraba). Mandrou peut désigner la prêle sauvage, si ce n'est le nom donné à un exclu (un mendiant...).

Lespiet peut provenir de l'espinet, ou Aubépine blanche. Cascouret est le nom donné à la petite Galle du chêne. Le nom Las olibes semble désigner des olives/oliviers, mais le contexte semble curieux ici pour de tels arbres, à moins qu'un marquis de Franclieu n'ait importé d'Espagne quelques plants au XVIIIe siècle.

D'autres noms enfin rappellent le souvenir d'un propriétaire disparu: Marquis (sous-entendu: de Franclieu), Audiracq, Bidau, Dangais, Pichard, Lavay, peut-être Jouette. Le Compairet peut être le nom d'un « parrain », conservé pour une terre. Goze, attesté en 1740 et au sens très obscur et contesté,pourrait rappeler un surnom de personne médiévale « gothique » (Gozo ou Goto ?). 
 
 

On peut tirer de ces quelques éléments toponymiques que la première occupation décelable de ce territoire remonte à l'antiquité gallo-romaine, avec quelques traces plus précoces (racine gar-). Nous verrons par l'archéologie qu'elle est en fait plus ancienne. Les structures d'habitat médiévales semblent avoir pris, directement ou non, la continuité de ces exploitations agricoles antiques, dont elles ont conservé le nom en le déformant, et en conservant parfois même l'emplacement (à Lagrace). L'occupation la plus dense est cependant l'occupation médiévale et moderne, qui livre la majorité des toponymes et micro-toponymes en gascon, qui était la seule langue parlée avant le XVIe siècle, et qui était encore très largement employée au XVIIIe siècle dans ce milieu rural: les noms se rapportent à la fois au domaine seigneurial (nom de fortifications, de terres au statut particulier), et à l'exploitation agricole et artisanale qui a été systématique et n'a laissé de côté aucune ressource disponible.

Principaux éléments toponymiques «historiques» de la commune de Soublecause. Les noms en gras sont ceux mentionnés sur la carte IGN au 1:25000, les noms en italiques correspondent aux noms cadastraux et du terrier de 1740.

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Dernière modification : 18/11/01,19:04:54