DEA



Bibliographie * Documents (textes) * Documents (graphiques)
Mon DEA a été soutenu en 1998, sous la direction de Benoît Cursente. Il a obtenu seulement la mention bien, car les perspectives envisagées dans cette petite étude étaient en-deçà du niveau des travaux alors en cours de publication (en particulier les travaux de mon directeur de recherches). Ce DEA permet néanmoins, avec toutes ses lacunes, de faire un point bibliographique.
VI- PROBLEMATIQUE




L’étude de l’occupation médiévale et moderne dans le Sud-Ouest est une tâche redoutable pour aux moins deux raisons.

L’occupation du sol, par la documentation qui permet de l’approcher, se rapporte à tous les grands thèmes de l’historiographie contemporaine. Etudier un domaine, c’est aussi étudier les autres par un éclairage indirect. Charles Higounet utilisa un mot allemand, siedlungsgeschichte, pour qualifier ensemble l’occupation des sols, l’économie rurale, les transformation paysagères… D’une certaine façon, on revient par la multiplication des données et des angles d’approche, au graal des chercheurs du XIXe siècle, qui pensaient arriver à la vérité historique par l’étude exhaustive des archives. Nos archives, en particulier par l’approche archéologique, se sont multipliées. Tout juste risquons nous de nous noyer dans cette masse.

La deuxième difficulté réside dans la durée. Le haut moyen-âge, si mal connu dans notre région, a vu de nombreux bouleversements. Le moyen-âge, c’est à dire les cinq siècles qui séparent l’an mil de l’an mil cinq cent ne sont pas des siècles figés, où rien ne bouge : naissance de la féodalité, essor économique et démographique, incastellamento, crises du XIVe et XVe siècle… Et les deux siècles suivants ne sont pas en reste de bouleversements sociaux, économiques, démographiques. Citons seulement les Guerres de Religion au XVIe siècle.
 
 

Nous avons par conséquent choisi d’étudier un domaine restreint de cette occupation du sol, celui qui concerne l’habitat, sous toutes ses formes. De plus, pour tenter de comprendre les fluctuations dans cet habitat, nous avons fait le choix d’une démarche d’étude sur le temps long.

Ce choix, qui peut paraître restreint dans sa problématique d’étude et son intérêt, rejoint cependant de nombreux autres domaines: il faut s’interroger sur les formes des villages, leur organisation sociale, économique, spatiale, les habitats annexes et satellites. Plus encore, il faut réfléchir aux liens qui unissent ces habitats à la terre, et à ses voies d’accès, selon les époques, sachant que la plupart des hommes médiévaux et modernes étaient des cultivateurs ou des éleveurs. Les crises, les guerres, les épidémies, les périodes de prospérité se sont succédées parfois en l’espace de quelques années, et ont contribué à modeler l’habitat rapidement et profondément. C’est tout un pan méconnu des phénomènes sociaux, économiques, voire politiques bien cernés par ailleurs qui pourrait être mis en lumière par une étude complète de cet habitat.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1- Le modèle standard
 
 

    La recherche des structures villageoises médiévales régulières
Nous nous intéresserons ici principalement aux formes d’habitat médiévales, les habitats modernes n’ayant guère fait l’objet de recherches propres, sauf exception.
Les problématiques de recherche sur l’habitat médiéval, depuis une trentaine d’années, se sont avant tout concentrées sur les formes d’habitat groupées, documentées, et présentant des caractéristiques de régularité dans la forme (juridique…), et éventuellement dans la structure (développement sur le terrain) et dans le temps.

 
 

C’est ainsi qu’à partir d’un impressionnant travail de recherche en archives, de grands “ types ” de villages médiévaux ont été déterminés avec leurs caractéristiques et leurs périodes de fonctionnement. Nous nous intéresserons ici aux grands types présents dans le sud-ouest de la France.
 
 

b – Les grands types de villages groupés
 
 

Les bastides ont été les premières étudiées, de par leur nombre important et leur forme régulière très caractéristique. Alcide Curie-Seimbres, en 1880, étudia le premier dans son ensemble ces villes neuves bâties entre 1230 et 1340 environ, qui sont des structures villageoises de forme souvent régulière (voire géométrique), généralement centrées sur une place de marché (la fonction commerciale prime devant la fonction défensive), et dotées d’une charte de fondation (parfois de paréage entre plusieurs seigneurs, parfois le roi) et d’une charte de coutumes écrites, souvent inspirée d’une charte précédente. Les travaux sur les bastides, très nombreux, ont été éclairés par Charles Higounet ou encore Odon de Saint-Blanquat. Ils se poursuivent encore aujourd’hui (Centre d’Etude des Bastides…).
 
 

Les villeneuves, étudiées par Charles Higounet, en particulier dans le Bassin Parisien, sont des villages neufs, fondés principalement au XIIe siècle et au début du siècle suivant. Ce sont souvent des créations dues au défrichement, de plan centré et dont les chemins d’accès rayonnent. Ces villages sont parfois dotées de chartes de coutumes ; ils sont très rares dans notre région
 
 

Les habitats castraux, qui constituent une forme majeure de structuration de l’habitat dans le sud de notre pays, ont été étudiés dans le détail. Ils s’agit de groupements d’habitats très variés, mais qui sont systématiquement liés à un habitat castral, motte, château etc. Depuis les travaux de Pierre Toubert sur l’incastellamento du Latium, de nombreux castra ont été mis en évidence dans le Sud-Est. Dans le Sud-Ouest, une forme originale d’habitat castral, le castelnau, a été mis en évidence par Benoît Cursente. Les castelnaux, comme la majeure partie des habitats castraux, sont nés entre le XIe et le XIIIe siècle.
 
 

La législation ecclésiastique, à partir de la fin du Xe siècle, a progressivement imposé la sauvegarde d’un certain nombre de lieux relevant de sa juridiction, en particulier les églises et les cimetières, et par extension ses habitants. Cela a donné naissance a des formes originales d’habitat groupé :

Les sauvetés, étudiées en particulier dans le Toulousain (Charles Higounet) et dans le Comminges (Paul Ourliac), sont des habitats villageois dotés d’une charte de fondation octroyée par une autorité ecclésiastique (évêque, abbé…) et qui jouissent d’une protection de l’église, généralement matérialisée par des croix sur le terrain. Certains de ces habitats ont pu prendre des formes régulières.

Les bourgs ecclésiaux sont une autre variante issue de la Paix de Dieu. Il s’agit d’habitats villageois groupés autour d’un bâtiment à vocation religieuse, église ou monastère. Très fréquents sont les enclos ecclésiaux, villages installés dans un périmètre autour de l’église qui correspond au cimetière, ce qui donne souvent une forme régulière circulaire au plan de ces villages. Ils sont actuellement étudiés dans le Languedoc par Dominique Baudreu, et Frédéric Guédon leur a consacré un DEA pour les Hautes-Pyrénées.
 
 

Les bourgs casalers sont une dernière variante d’habitat groupé récemment mise en lumière : il s’agit d’habitats groupés caractérisés par une forme peu ou pas régulière, comme le sont beaucoup de villages de montagne ou de piémont, dont la formation s’est effectuée à partir de quelques maisons importantes qui ont structuré l’espace physique et social autour d’elles. Certains d’entre eux ont été étudiés par Benoît Cursente (voir infra).
 
 
 
 

    Les premiers modèles de villages dispersés
C’est très récemment que quelques travaux ont commencé à étudier les formes d’habitat villageois non groupé. On peut citer à titre d’exemple le travail publié par Céline Doux pour le Périgord sous la direction de J.B. Marquette en 1997 (BSHAP t.CXXIV), qui prend pour base de recherche la délimitation des paroisses haut-médiévales, et qui pose quelques hypothèses sur le passage de l’habitat isolé à l’habitat villageois (rôle de la noblesse, de la paroisse…). On peut citer également la thèse d’habilitation de Benoît Cursente qui vient d’être publiée (Des maisons et des hommes, PUM 1998), et qui, prenant pour cellule d’habitat de base le casal (la “ maison-exploitation ” et ses “ terres ”), démontre qu’en Gascogne c’est ce casal qui reste jusqu’à la fin du moyen-âge parfois l’unité de fonctionnement de base pour la société et l’économie, pouvant ainsi s’affranchir des formes d’habitat groupé qui n’ont souvent que médiocrement réussi à rassembler la population.

 
 
 
 
    Des modèles massivement employés.
Ce rapide tour d’horizon nous a permis d’observer les différents modèles théoriques qui ont été mis en place et qui sont actuellement utilisés comme une véritable typologie ou grille d’analyse (sauf le casal, d’étude trop récente). Les maîtrises d’occupation du sol, par exemple, font massivement appel à ces grands types d’habitat pour étudier de petits territoires, de la taille d’un canton généralement.
Il faut remarquer que tous ces modèles ont été étudiés à partir d’une documentation écrite (chartes…), qui a été mise en corrélation avec des formes cadastrales sur le terrain. C’est à dire que le modèle est appliqué d’abord à partir du texte (une bastide est généralement identifiée d’abord par sa charte), puis accessoirement à partir du plan, qui est souvent régulier.

 
 
 
 
 
 
 
 

2- L'inadéquation partielle de cette typologie
 
 
 
 

    Un exemple de modèle inadéquat dans la documentation
La documentation écrite elle-même, qui a pourtant servi largement à la définition des modèles, présente nombre de difficultés non résolues. Nous prendrons pour exemple la bastide de Rabastens-de-Bigorre, parfait exemple de bastide à plan régulier, et bien documentée.
Deux séries de problèmes sont apparues à l’analyse de cette bastide :

 
 

1- Les censiers, en particulier celui de 1429 commandé par le comte Jean de Foix-Grailly, montrent que des habitants, en plus de leur place dans la bastide, possèdent d’autres habitats ailleurs dans le territoire de la bastide. 

Prenons par exemple le premier nom d’habitant mentionné dans ce censier, un certain Guilhem du Cluset :

Guilhem deu cluset ten Ia plassa dostau en lo carton de Teuler. Es tengut de pagar cascun an en la feste de totz santz au comte per aquet VI diners tornès ; dautre part per fornatge VI diners. Plus ten borda et casau en que son dues plassas terza, pague per cascun VI diners tornès. Plus III plassas, dautre part pague per cascun I diner tornès. Plus ten IX arpentz, et en condan XVIIIte plassas ; per cascun arpent pagua per cascun III sos VIII diners tornès. Et si mes plassas se troban en larpent pague per cascune plassa I diner. Plus ten I molin ; pague per aquet X sos tornès. Plus ten IIIIte arpentz pague per cascun X sos tholsas. Plus au senhor de Serinhac per IIIIte arpentz VIII diners morlans per cascun. Plus au senhor de Sent Lari per sieys jornaus de vinha XXIIII diners tholsas. Plus au comte de Perdiac per tres arpentz que ten en vacan IIIte sos tholsas. Plus au comte et au senhor de Sent Lari per III arpentz de vinha et pratz III sos tholsas.
 
 

Deux problèmes sont apparents ici, pour un cas qui reste relativement simple :

    le vocabulaire employé est souvent imprécis. Ici on comprend cependant que ce rabastenais possède un emplacement de maison dans le quartier nord de la bastide (bâti ou pas ?), un moulin, une borde avec son casal ( une ferme avec son jardin ou ses terres ?), et de nombreuses autres terres dans et hors la bastide, puisqu’il doit des redevances à des seigeurs voisins, les seigneurs de Villecomtal et Teulé. Cependant rien ne nous indique l’emplacement de ces bâtiments, ni leur ampleur exacte, ni le sens exact de mots : que représente exactement la borde : une ferme ? une grange aménagée ? quelle est la différence structurelle entre les deux ? et à quoi correspond le casal qui lui correspond (un jardin ? de quelle taille ?). On se heurte ici rapidement aux limites d’une documentation trop laconique quand on veut étudier les structures à l’échelle de la maison.
    La localisation de ces différentes propriétés est une autre difficulté. Les travaux de Cédric Lavigne (Les formes du paysages, 1997, op. cit.) ont montré qu’il existe un parcellaire régulier de 220 ha autour de la bastide de Rabastens. La borde de Guilhem du Cluset s’intègre-t-elle dans ce parcellaire, ou au contraire ce parcellaire est-il vide et les structures bâties se concentrent sur ses marges non cadastrées à mettre en valeur ? On se heurte ici au problème du manque de prospection sur ces parcellaires, même ceux qui paraissent bien étudiés. La localisation des habitats isolés contemporains de la bastide médiévale serait pourtant très instructive pour comprendre la construction du territoire communal, et sa mise en valeur à partir de ces bordes…

 
 

2- Le même censier de Rabastens en 1429 nous révèle que plusieurs villages voisins sont rentrés dans “ l’orbite ” de la bastide, et lui doivent diverses redevances :
 
 

Item que los habitans deu loc de Barba pien son tengutz de pagar au baile de Rabastenx per nom deu comte VI diners per fornatge per cascun foec.

Item dixen que cascun habitans deu loc de Boilhs foec aluquant pague VI diners tornes au baile de Rabastenx per fornatge ; et lodit loc es en la juridiction deus dits cossos de Rabastenx.

Item que los locx deu Casterar, de Lascurry et de La cassanha , ab Mansan, fen aixi en la juridiction de la dita biela. Et cossos et habitans de La cassanha son tengutz de pagar cascun an en la dita feste de Nadau au vaile de Rabastenx per nom deu comte XL sos morlans per arssiut.

Item cossos et habitans de Lascurry VII sos en morlans.

Plus cossos et habitans deu Casterar sinc sos morlans.

Plus los habitans de Mansan VI diners per fornatge
 
 

On change ici d’échelle. Comment considérer des villages comme Bouilh ? des seigneuries indépendantes ? elles ne seraient pas alors de la “ juridiction ” de la bastide. Des noyaux d’habitats satellites de Rabastens ? D’autres bastides, puisqu’elles sont sous son contrôle ? On sait que les seigneurs du petit village de Castera-Lou (lo castar, castellario dans les textes) ont donné à leur seigneurie en 1330 les coutumes accordées un peu plus tôt à Rabastens, et ce en présence des consuls de la bastide : juridiquement Castera est devenu en 1330 une bastide.

Par ailleurs, le censier de Bigorre de 1313 indique l’existence du petit village de Teulé , localisé à 1500 mètres au nord de la bastide, qui est alors tenu par un damoiseau. Ce village n’apparaît plus directement en 1429, et la bastide comprend un carton de Teuler. On pourrait penser que ce village s’est vidé de sa substance et a été assimilé, mais le rolle des Etats de Bigorre de 1635 mentionne encore un seigneur de Teulé. Que penser de cet habitat, qui sur le terrain n’a pas été identifié par Frédéric Vidaillet (dans sa maîtrise) ? Le petit hameau du village de Haget, qui porte ce nom, correspond-il à cet habitat médiéval ? Une partie du territoire de cette seigneurie a-t-elle été intégrée seulement à la bastide, d’où l’apparition du “ quartier ” du même nom au sud du hameau actuel ? Comment la bastide de Rabastens a-t-elle assimilé ces terres ? par un achat global dont l’acte est perdu, ou par les terres louées individuellement par des poblans de la bastide (ils sont nombreux à porter des redevances au sire de Saint Lary, seigneur de Teulé, en 1429) qui ont fini par “ mélanger ” les terres mal délimitées ou entremêlées des deux seigneuries ?
 
 

On voit qu’un tour d’horizon très rapide de la documentation disponible sur une bastide “ classique ” dépasse très rapidement la problématique de la charte et de l’espace régulier, et même du territoire cadastré.
 
 

On peut synthétiser l’ensemble de ces questions en deux problèmes généraux:
 
 

- Il existe dans la documentation des habitats signalés mais non repérés sur le terrain, hors de la bastide. Ces habitats correspondent majoritairement aux “ hameaux ”, “ habitats intercalaires ”, “ habitat isolé ”, “ dispersé ” ou “ semi-dispersé ”, non ou mal identifiés des modèles actuels, que l’explication par le “ casal ” et la “ borde ” permet à peine de comprendre actuellement.

- La même documentation, y compris l’archéologie du parcellaire, révèlent une évolution dans le temps des formes d’habitat et du parcellaire associés que nous savons mal lire actuellement.
 
 
 
 

b-Une typologie insatisfaisante
 
 

Les auteurs des modèles eux-mêmes ont constaté que ceux-ci étaient insuffisants pour localiser et comprendre tout l’habitat villageois. 
 
 

    La première difficulté rencontrée concerne l’extension chronologique des modèles villageois, qui se concentrent massivement sur la période 1100-1350. De fait, on connaît bien les habitats groupés de cette période, mais on ne sait pratiquement rien sur l’habitat antérieur, ni même sur l’habitat postérieur. Mireille Mousnier, dans son bel ouvrage sur la Gascogne toulousaine, a bien fait remarquer cette lacune documentaire et archéologique avant 1150 pour sa région.
    Cette lacune est la deuxième difficulté des modèles : ils ne mettent pas en lumière les évolutions qui ont suivi la mise en place de ces habitats structurés. Cela est particulièrement vrai en Bigorre, où l’habitat est partout semi-dispersé, et les formes d’habitat médiéval groupé presque toutes fossiles. Prenons l’exemple de Vic-Bigorre : le territoire communal de cette petite ville conserve une série de lieux-dits que la documentation identifie comme d’anciens villages ou hameaux à l’époque moderne. La prospection montre la présence de plusieurs enclos ecclésiaux et habitats castraux qui n’ont pas été pérennisés. Il sera donc nécessaire d’expliquer pourquoi et comment ces villages ont disparu alors que celui de Vic a survécu , en assimilant leurs territoires. 
    Il n’existe pas de modèle global d’explication des formes “ irrégulières ”, qui sont pourtant nombreuses. Les modèles ont été définis dans les zones de forte concentration du type : par exemple les castelnaux dans la Gascogne gersoise. Or, les régions un peu en marge comme la Bigorre semblent concentrer des formes très dégradées et/ou instables de ces habitats pourtant bien définis. On peut citer le village d’Andrest, qui présente certains caractères d’une bastide seigneuriale sans en être une (voir annexe). Ou encore le village de Castera-lou (lo castellario dans le censier de 1429), qui présente sur le terrain une belle motte en position dominante avec une basse-cour et un village-rue associé. A priori, l’archéologie montre ici un bel exemple d’habitat castral, voire un castelnau. Or, une charte de 1330 montre que les seigneurs du Castera adoptèrent les coutumes de Rabastens et rattachèrent leur seigneurie à la juridiction de cette bastide. Donc, juridiquement, ce castelnau devient une bastide en 1330. L’habitat a-t-il été modifié dès lors ? Je ne saurais le dire avec certitude, mais c’est une piste qu’il faudra explorer. Il est presque certain par contre que la motte n’a pu ensuite retenir l’habitat : une prospection réalisée sur la basse-cour par une universitaire paloise n’a pas livré de céramique moderne.
Il est évident que les contemporains n’ont sans doute pas eu conscience de vivre dans telle ou telle forme atypique de village, même s’ils connaissaient certains grands types comme les bastides, nom dont se parent de nombreux villages qui n’en sont pas au XVe siècle (dans le censier de 1429 en particulier). Il paraît donc évident au vu de ces premières remarques que l’habitat médiéval et moderne doit être étudié sur le temps long et dans un espace assez vaste pour comprendre ses phases d’évolution souvent variables d’un site à l’autre.

 
 
 
 

d- Un autre reproche que l’on peut faire à ces modèles est de se focaliser généralement sur l’habitat groupé, et de délaisser l’habitat dispersé qui lui est associé, mais qui n’est que peu ou pas éclairé par la documentation écrite et l’archéologie. Par exemple Benoît Cursente, dans son travail sur les castelnaux de la Gascogne gersoise, note à propos de l’exploitation rurale des territoires des castelnaux qu’  “ une refonte complète du terroir aurait impliqué la disparition de tous les peuplements intercalaires ; or, dans plusieurs castelnaux, on perçoit l’existence d’une population rurale extra muros, dont il est impossible, au demeurant, d’évaluer l’importance ”. Il donne en exemple les coutumes de Montesquiou qui citent à plusieurs reprises les bordes et les bordelarii disséminés sur le territoire du castrum. Or le problème de l’habitat dispersé est d’une importance majeure : quels étaient ces habitats ? quelle était la puissance d’attraction réelle d’un castelnau, par exemple si plus de la moitié de la population liée continuait à vivre sur ses terres, à plusieurs centaines de mètres des murailles ? Quelle a été la part et le rôle de ces habitats dans les défrichements et l’extension des territoires cultivés ? Les maisons étaient-elles construites sur les terrains défrichés ou à distance ? Quel était le lien entre ces habitats et ceux qui étaient groupés ? Si on le lie aux problèmes précédents, quelle a été la part de l’habitat dispersé qui n’a pas été touchée par les phénomènes de regroupements de l’habitat de type incastellamento ? Une meilleure connaissance de cet habitat dispersé permettrait de mieux comprendre l’importance et la portée réelle des créations de villages groupés médiévaux.
 
 

Cette réflexion nous amène à poser comme second postulat que le “ filet ” qui sert actuellement de base d’analyse de l’habitat médiéval et moderne a des mailles trop larges, et laisse passer presque tous les habitats dont la taille est inférieure à celle du village, ce qui nuit à la compréhension d’ensemble des structures villageoises. Seule une étude capable de prendre en compte la grange ou la maison, le “ feu ”, pourra essayer de répondre à ces questions.
 
 
 
 

3- Une série de problèmes
 
 

L’étude de l’habitat médiéval nécessite donc une réflexion nouvelle sur la forme de l’habitat, ses fonctions, sa relation au territoire et son évolution pour pouvoir appréhender ces phénomènes dans leur ensemble.
 
 
 
 

a- La question du vocabulaire
 
 

Un problème majeur qui se pose avec la documentation écrite est celle du vocabulaire. Toute la –très rare- documentation entre le Ve et le XIe est écrite en latin. La documentation postérieure est souvent bilingue latin-gascon. De plus les sources documentaires sont souvent ecclésiastiques, c’est à dire que les scribes font un usage décalé du vocabulaire laïc, ou emploient un vocabulaire inadapté pour ne pas avoir à latiniser un vocable roman.

Il s’ensuit des problèmes redoutables d’analyse de vocabulaire, surtout avec la documentation latine. Quel sens donner par exemple donner aux mots castrum, villa, villagia dans les censiers bigourdans de 1285 et 1300, quand un examen superficiel montre que les mêmes termes sont employés pour désigner un enclos ecclésial et un bourg castral , sans parler des lacunes documentaires inexpliquées ? Au contraire, une curtis de Ganossio (Ganos, seigneurie connue au XIVe siècle, commune de Caixon) citée en 1108 dans le cartulaire de Larreule fait-elle référence à une exploitation d’origine carolingienne ? Il faudra prêter une attention soutenue à ce vocabulaire, qui peut parfois être source de confusion mais parfois aussi d’informations précieuses.
 
 

De plus, un même vocable a pu changer de sens insensiblement au cours des siècles : une villa du Xe siècle dans le Livre Vert de Bénac n’a certainement pas le même sens qu’une villa du XIVe siècle dans les censiers royaux. Pourtant l’emploi du même vocabulaire est peut-être le signe que dans certain cas c’est l’habitat qui s’est transformé au même endroit (on est passé par exemple d’un domaine carolingien à une paroisse médiévale) alors que le vocabulaire s’est fixé, finissant par désigner deux réalités très différentes à plusieurs siècles d’intervalle. De même pour le terme bastida, qui semble avoir un sens bien particulier au début du XIVe siècle dans les chartes de fondation, mais qui est employé pour de nombreux villages très différents au XVe siècle (dans le censier de 1429. Par exemple les consuls de Siarrouy affirment que le village es bastida, mais en 1350 un acte de vente au vicomte de Lavedan montre qu’il s’agit d’un bourg castral).
 
 

Il faudra également s’intéresser au vocabulaire de la terre. Que savons-nous sur le casal bigourdan et ses diverses acceptions ? Quelle est sa correspondance exacte sur le terrain ? Ici le travail de Benoît Cursente pourra nous servir de base d’étude et de réflexion.
 
 

Enfin il faudra s’intéresser à l’apparition de certains mots : quand sont signalés dans les cartulaires les premiers castra, les motta, castella etc ? Cette étude conditionne la comparaison avec les régions voisines : les castra sont-ils apparus dans la même période que pour le Latium ou le Biterrois, ou bien sont-ils plus tardifs et plus tardivement fondés, comme dans la Gascogne toulousaine ? Que signifie ce décalage ? Ici c’est certainement la documentation écrite qui posera problème pour la datation.
 
 

Une étude sur l’évolution de l’habitat devra donc débuter par une analyse très fine du vocabulaire employé.
 
 
 
 

b- Habitat groupé et habitat dispersé: deux problèmes différents ?
 
 
 
 

I- Des problématiques aujourd’hui très parcellisées
 
 

Les recherches réalisées depuis une trentaine d’années portent avant tout sur les habitats groupés. A l’opposé quelques rares monographies portent sur des habitats isolés (quelques fermes dans la région toulousaine…), souvent dans le cadre de fouilles de sauvetage, sans problématique de recherche donc, plus rarement dans un cadre programmé mais sans perspective d’intégration à l’échelle d’un territoire. Notons également qu’en Bigorre, à l’exception de rares et lacunaires maîtrises d’occupation du sol, des fouilles tarbaises non publiées (place de Verdun, parvis de la cathédrale), et de l’ouvrage de B. Cursente qui prend quelques exemples en Bigorre, il n’existe aucun bon ouvrage de synthèse sur l’habitat médiéval.
 
 

Les recherches actuelles portent avant tout sur les parcellaires ; elles ne traitent qu’épisodiquement des liens entre ces parcellaires et l’habitat qui lui est lié (sauf chez quelques antiquisants ; voir par exemple les travaux publiés dans Les formes du paysage T.2, mais ces études ne dépassent guère le cadre du haut moyen-âge, et encore quand cet habitat est lié par son implantation et son orientation à l’habitat antique).
 
 

Aucune étude jusqu’ici n’a tenté de lier ces divers aspects :

    liens entre habitat groupé et habitat dispersé sur un même territoire (communal ou non).
    liens entre ces habitats et la terre qui les accueillent, c’est à dire le parcellaire principalement.

 
 

II-Une nécessaire intégration
 
 

Or les textes montrent sans équivoque que les différents éléments qui structurent un paysage, habitat, voirie, champs, bois… à moment donné sont inextricablement liés.
 
 

Reprenons l’exemple du censier de 1429, qui est un outil de travail presque unique pour connaître la Bigorre rurale au XVe siècle. Pratiquement tous les villages accueillent des cap d’ostaus assez fortunés pour posséder plusieurs habitations et/ou exploitations dans le territoire du village, et souvent sur les territoires avoisinants. Il est fréquent de trouver des villages manifestement bien structurés et occupés dont les habitants contrôlent un grand nombre d’habitats satellites, pas toujours faciles à identifier ni à repérer sur le terrain.

Utilisons de nouveau l’exemple de la bastide de Rabastens. Sur les 305 cap d’ostaus recensés par Maurice Berthe, plus de la moitié payent pour des terres relevant du comte de Pardiac, du sire de Sarriac ou du seigneur de Teulé. Nous savons également par ce document que les terres d’Escondeaux, à deux kilomètres de la bastide, sont exploitées par les rabastenais. On peut de plus dire à partir de ce document que le territoire communal doit correspondre au moins au sud aux limites actuelles. D’autres documents se rapportant aux terres du couvent des Carmes et de l’hôpital Saint Antoine permettent d’arriver aux mêmes conclusions pour le sud-est du territoire. On ne peut cependant préciser si les terres relevant des seigneurs voisins sont celles actuellement intégrées au territoire communal ou non. Il est cependant évident que ce censier de 1429 montre des limites territoriales plus grandes que celles que livre la cadastration régulière étudiée par Cédric Lavigne. 

Parmi les propriétaires de la bastide, un certain nombre ont des bordes qui ne semblent pas correspondre à un emplacement dans la bastide. D’autres possèdent des places deffora la bastida, qui peuvent être bâties. Où sont situées ces habitations et les bâtiments agricoles ? Sur le territoire cadastré, ou au contraire sur les marges du territoire, sur les terres trop éloignées du centre urbain ? On sait qu’au XVIIe siècle le territoire d’Escondeaux comprenait un hameau qui fut doté d’une église succursale. En était-il de même auparavant ?
 
 

En fait, la documentation montre clairement qu’aucun habitat groupé n’est déconnecté de son territoire, fût-ce une bastide à vocation commerciale. Le censier de 1429 en particulier révèle que les territoires villageois bigourdans du XVe siècle comprennent un grand nombre de bâtiments isolés, généralement des “ granges ”, des bordes, qui sont possédés par des paysans ou des bourgeois, et qui participent à l’économie de l’ensemble du village.
 
 

L’exemple de Madiran, étudié par Benoît Cursente, est éclairant (Des maisons et des hommes, p.122-123). Ce village de Rivière-Basse a toutes les chances de ressembler à ses voisins bigourdans, entre la fin du XIe et le milieu du XIIIe siècle. Ce chercheur a observé, au-delà du bourg de Madiran installé autour de l’abbaye, une série de casaux, exploitations agricoles disséminées sur le territoire communal et les communes voisines, qui structurent l’espace rural cultivé et ses marges, au point que l’auteur émet ici l’hypothèse que ces casaux sont la marque d’un défrichement antérieur: “ il paraît d’ores et déjà assuré que le processus de mise en valeur d’un territoire per casalem a généralement correspondu à une occupation lâche de l’espace ”. Et ces casaux, qui forment des unités d’exploitation “ autonomes ”, sont parfaitement intégrés à l’économie du bourg et de l’abbaye comme le montrent les actes du cartulaire correspondant.
 
 

S’interroger sur la localisation du bâti sur un territoire, c’est ainsi chercher à comprendre comment ce territoire s’est formé et a été exploité par les hommes sur une période donnée. S’interroger sur les dynamiques de l’habitat, c’est donc aussi répondre en partie aux problèmes de la dynamique des territoires villageois, cultivés ou non.

L’habitat doit donc être étudié dans son ensemble, groupé ou non, et dans son contexte, parce qu’il participe au même système économique, social, juridique…
 
 
 
 

Fig. 9

LE TERRITOIRE DE MADIRAN (XIe-XIIIe s.)





D’après le plan de Benoît Cursente, Des maisons et des hommes, p.122.

Les casaux connus grâce au cartulaire de la petite abbaye du village, et qui ont pu être localisés, sont indiqués par les cercles, ainsi que les principales voies actuelles. En réalité, leur nombre devait être bien plus important et structurer toute la surface agricole (dans un cadre bocager ?).
 

III- Réseaux, polarisation et lieux centraux
 
 

Une manière de poser la question des liens entre les habitats est de raisonner en termes de réseaux, polarisation et de lieux centraux. On connaît les théories sur les lieux centraux développées depuis les années 1930 par Walter Christaller ou encore l’école de Chicago, et l’exploitation “ chorématique ” qu’en a imaginé le géographe Roger Brunet. Les applications en histoire sont rares, tout au plus pouvons nous citer le travail de Charles Higounet sur les petites villes (déterminées notamment par la présence de couvents mendiants), et son hypothèse d’une “ polarisation ” des petites villes et bourgs dès le moyen-âge, formant ou se concentrant autour de “ lieux centraux ” polarisant hommes et flux économiques (in Paysages et villages neufs au Moyen Age, et Villes, sociétés et économies médiévales).
 
 

On peut imaginer un mécanisme semblable de polarisation autour de lieux centraux, sur diverses échelles et périodes en Bigorre, qui permettrait d’avoir une clé d’explication pour l’implantation et l’évolution de certains habitats. Nous ne sommes qu’aux prémices d’une réflexion sur ce terrain, cependant nous pouvons d’ores et déjà donner trois exemples sur trois échelles différentes qui serviront à étayer nos premières analyses.
 
 

A l’échelle du comté, on sait que le comte Centulle III octroya dans les années 1170 des chartes de coutumes à Tarbes, Bagnères, Lourdes, Vic et Ibos. Seules les chartes de Bagnères (copie de l’original) et de Tarbes (les “ trobas ”) sont connues, des autres on ne possède que des extraits et des allusions (en particulier Vic aurait été dotée d’une charte dès 1152 par Pierre de Marsan, complétée par Centulle III, d’après un inventaire de 1551). Toujours est-il qu’il existe avec certitude dès la fin du XIIe siècle un petit réseau de cinq “ villes ” en Bigorre, bien modestes en taille et en importance, comme le note justement Maurice Berthe dans sa thèse. Ce réseau fut-il “ polarisé ” autour de Tarbes dès l’origine ? Je ne saurais le dire actuellement, d’autant qu’on connaît très mal les politiques des comtes et même leurs résidences, mais cela apparaît déjà dans les censiers de 1285, 1300 et surtout 1313 : Tarbes, en position centrale dans le comté, concentre les pouvoirs administratifs, judiciaires (juge comtal…), religieux (évêché) et économiques (principal marché). Les autres villes possèdent des marchés secondaires, parfois des salles comtales (Vic) ou des châteaux comtaux (Lourdes), elles seront au XIVe siècle le siège de puissants bailliages. Le réseau routier lui-même permet un accès assez aisé de ces petites villes vers la “ capitale ” Tarbes (remploi de voies antiques en particulier dans la plaine de Tarbes). On peut donc dessiner une sorte de “ toile ” polarisée assez régulière et schématisable (voir Fig. 10, correspondant à la situation du XIVe siècle). Nous n’osons employer le terme de réseau, car les liens réels tissés entre les villes secondaires posent actuellement problème.

Phénomène intéressant, la création de la bastide de Rabastens dans la marge nord-est du comté perturbe ce système à partir de 1306. On sait que les tarbais tentèrent de s’opposer à cette fondation, et que le sénéchal Pierre-Raymond de Rabastens voulut faire de la nova bastida la nouvelle capitale bigourdane. Les tarbais intentèrent un procès en annulation de la fondation, les vicquois prirent en 1348 les armes contre les rabastenais. Ces tentatives échouèrent, et on trouve Rabastens parmi les “ bonnes villes ” de Bigorre au siècle suivant, dans le censier de 1429 (pour cette affaire voir O. de Saint Blanquat, La fondation des bastides royales dans la sénéchaussée de Toulouse aux XIIIe et XIVe siècles, 1941, éd. Toulouse 1985). On peut considérer que dès lors le système “ urbain ” bigourdan est achevé, puisque rien ne vint le transformer jusqu’au XIXe siècle et la chute démographique.
 
 

Cette cartographie, toute théorique, n’a rien de gratuit. En effet on peut légitimement s’interroger sur la volonté de Centulle III de doter la Bigorre d’une petite armature urbaine répartie sur tout le comté, créant une hiérarchie entre ces “ villes ” et les villages alentour, et aidant à leur contrôle ainsi qu’à celui des frontières du comté. On peut également s’interroger sur la volonté royale de casser ce schéma au XIVe siècle, en particulier en affaiblissant Tarbes comme lieu central (ce que la documentation semble confirmer, puisque le sénéchal voulut faire de Rabastens la capitale).

Il ne s’agit ici évidemment que d’un exemple sommaire, qui demandera d’être très affiné, documenté et commenté en profondeur. On pourrait également raisonner selon un principe similaire avec les châtellenies, les baronnies, les archiprêtrés… qui ont structuré l’espace au bas moyen-âge à l’échelle du comté. 
 
 

A une échelle plus réduite (celle du bailliage) on constate également une forme de polarisation. Si on reprend l’exemple de Rabastens, on constate dans le censier de 1429 que la bastide prend sous sa juridiction une série de villages voisins : Le Castera, Barbachen, Lacassagne, Lescurry, Mansan… La charte de paréage du Castera de 1330 (conservée dans les Glanages de Larcher) montre qu’il s’agit dans ce cas de l’attribution de la charte de coutumes de la bastide (donnée en 1328), avec redistribution des terres, contrôle judiciaire et imposition par les consuls et le juge rabastenais. Le censier de 1429 montre également la formation d’un “ territoire économique ”, avec des villages qui sont littéralement phagocytés par les paysans de Rabastens qui y cultivent et font paître leurs troupeaux, ce qui crée parfois des conflits de voisinage. Ainsi, toutes proportions gardées, c’est un véritable “ mini-contado ” qui apparaît autour de la bastide en 1429, qui polarise l’espace, les hommes et les biens (ne serait-ce que par le marché hebdomadaire, voir Fig.11). Des exemples similaires peuvent être détaillés pour les autres “ villes ” de Bigorre.
 
 

A une échelle encore plus réduite, c’est à l’intérieur même d’un territoire communal moderne qu’on peut parfois distinguer des mécanismes de polarisation de l’habitat et de l’espace. Prenons l’exemple du territoire communal de Vic, par une recherche régressive. Au XXe siècle, ce territoire comprend plus de 3200 hectares, ce qui est énorme pour la vallée de l’Adour où les territoires communaux oscillent entre 100 et 700 hecares. Le cadastre napoléonien montre qu’il en est de même depuis les années 1800, ainsi que les terriers depuis 1536, premier terrier communal conservé avec ses limites. Cet énorme territoire est donc en place depuis la fin du moyen-âge. Au-delà, il faut faire appel aux rares chartes conservées et à l'archéologie. La documentation nous apprend qu’il existait au moins huit habitats distincts du castrum de Vic après les années 1250, dont au moins trois (Balox, Saubanha et Ganos) étaient des seigneuries et des paroisses à part entière. Les églises de Sillac et des Artigues sont citées dans un pouillé du XIIIe siècle (Larcher, transcrit dans SB III), ce dernier étant sous la dépendance des sires de Saubanha jusqu’en 1276, puis donné à l’abbaye de la Casedieu. Saint Pé de Bassi n’est connu au XIVe siècle que par son dîmaire distinct de Balox, et par la découverte d’un groupe d’habitats antique et médiéval. De même pour Saint Aunis (Sanctus Dionysos), dont on ne connaît que l’emplacement de l’église et son cimetière, datables de la fin du moyen-âge au moins, sur un substrat antique.
 
 

Le problème est évidemment de savoir comment tous ces villages médiévaux ont vu leur territoire agrégé à celui de Vic, ainsi que leur population puisque tous se sont vidés de leur substance au point qu’il ne restait qu’une ou deux fermes habitées isolées au XVIe siècle. La documentation consultée n’est explicite que pour Balox, Soubanha et Ganos. La seigneurie et le château de Soubanha (ou Saubanha, ou Soubagnan selon les graphies) ont été rachetés à la fin du XVe siècle par les juges et gardes de Vic au nom de la communauté, mais on sait que des vicquois y cultivaient des terres depuis deux siècles au moins (C.Larronde, Saubanha, une seigneurie partriculière, SAHP 1985). Balox a été rattaché au milieu du XIVe siècle, sous une forme très particulière : un inventaire de 1551 signale que la communauté de Baloc dans son ensemble demanda à obtenir le statut de besis de Vic, parce que les fils d’un cosseigneur du village ravageaient tout, et “ à cause de la guerre contre les anglais ” . L’église paroissiale resta cependant en fonction jusqu’au XIXe siècle. Ganos enfin ne fut pas directement assimilé par Vic. D’après Larcher, vers 1340 le seigneur de Ganos, ruiné, vendit sa curtis avec toute la seigneurie au frère de l’évêque de Tarbes, le sire de Montbrun, qui rétrocéda une partie des terres à la communauté de Vic, remboursant ainsi son investissement.

Pour les autres habitats on ne peut fournir que des hypothèses, qui ne seront pas détaillées ici. Par ailleurs, de nombreux détails restent à étudier dans ces achats successifs, en particulier le statut des terres rachetées et leur emploi ; en effet la distance entre espace public et privé pose problème, les terres n’ayant jamais pris un statut communal de type padouen, seule la seigneurie et ses droits restant apparemment bien communautaire. 
 
 

On peut à partir de là dessiner un schéma à l’intérieur du territoire communal de Vic, qui montre une polarisation progressive de l’espace rural autour du castrum comtal sur un temps long (au moins trois siècles), avec des modalités d’acquisition qui restent à préciser mais apparemment très variables (voir Fig.12).
 
 

Ainsi, l’emploi des concepts de polarisation ou de lieux centraux pourra nous aider à élaborer des modèles d’ensemble, intégrant des phénomènes économiques, politiques ou sociaux dans des espaces divers et sur la longue durée, mais aussi à interroger les documents sous plusieurs angles (existence de réseaux économiques, polarisation de l’espace autour d’un habitat ou d’une voie impliquant des déplacements et une hiérarchisation…).
 
 

c- Les liens entre les structures bâties et leur territoire
 
 

La question de ces habitats isolés sur un territoire cultivé pose le problème des liens qu’entretiennent ces habitats avec le territoire : à une période donnée, tel habitat dispersé est-il le signe d’une conquête du sol (par exemple sur des artigues…) ou bien d’un éclatement de l’habitat groupé sur un bocage ? Quel est le lien entre cet habitat et les formes du paysage ? existe-t-il un lien d’implantation entre un cadastre antique et un habitat médiéval par exemple, ou bien entre un cadastre apparemment médiéval et les structures qui sont implantées à cet endroit ?

L’interrogation croisées de ces deux éléments, habitat et territoire, est source de nombreux problèmes.
 
 
 
 

I-Le poids des données naturelles
 
 

Dès le début de notre siècle des géographes ont travaillé sur le problème de l’implantation des habitats en évoquant celui des paysages (Roger Dion, Gaston Roupnel…). En 1942, Daniel Faucher tenta d’expliquer l’implantation des villages par les ressources naturelles (Concentration et dispersion de l'habitat rural dans le Sud-Ouest toulousain, Toulouse 1942). En particulier il expliquait alors la répartition des villages de la vallée de l’Adour par l’équidistance entre les terres cultivées irriguées par l’Adour et ses affluents, et les terres sèches plus propices à la culture de la vigne.
 
 

Certes, on ne peut nier complètement l’importance des facteurs naturels dans une implantation, et il faut en tenir toujours compte. Mais cette explication nous paraît très insuffisante dans la plupart des cas. En effet on ne peut expliquer par les seuls facteurs naturels l’installation de donjons sur des points élevés sans eau ni ressources naturelles, même si la vue est exceptionnelle, ou de villages sur des coteaux presque inaccessibles. De plus la documentation médiévale montre amplement que les hommes ont su transformer la nature à leur profit au besoin : le vicomte de Lavedan acheta par exemple en 1272 les villages d’Andrest et Trougnan dans la plaine de Tarbes. Dès 1281, il fit dériver la rivière de l’Echez dix kilomètres en amont pour créer un ruisseau artificiel servant à l’irrigation, à plusieurs moulins et à la mise en eau des fossés de deux fortifications. Le même phénomène se produisit à Rabastens, où la bastide fut entourée d’un canal (double, défensif, et employé pour huit ou neuf moulins en 1429), l’Alaric, dérivé quarante kilomètres en amont.

Ainsi, s’il sera nécessaire de prendre en compte les contraintes naturelles (marécages, absence d’eau…), il faudra toujours relativiser dans notre étude ce facteur par les aménagements réalisés (qui serviront aussi de marqueur temporel pour l’aménagement de l’espace) et les autres facteurs humains.
 

II- Les liens entre l'habitat et la terre
 
 

Les parcellaires médiévaux commencent à peine à être reconnus et étudiés (voir les travaux publiés sous la direction de G. Chouquer). Il faudra rechercher si l’habitat est lié ou non à ces parcellaires (par exemple l’habitat isolé des bastides), en marge ou au contraire au cœur des terres cultivées.
 
 

A une autre échelle, on pourra s’interroger sur la valeur à donner aux chartes accordées en série. Si on connaît un peu la politique royale au XIVe siècle (fondation de bastides, création de points d’appui de l’administration…), il faudra également étudier la politique des comtes de Bigorre qui ont accordé diverses chartes aux “ villes de Bigorre ” aux XIIe et XIIIe siècle, qui ont profondément transformé ces habitats.
 
 

L’évolution des habitats devra ici être étudiée selon deux points de vue :

- L’évolution politique, économique, sociale… qui pourra expliquer une extension ou un rétraction des habitats isolés. Jean-Loup ABBE (Le problème des parcellaires médiévaux, in Les formes du paysage, t.2 p.227) note par exemple qu’ “ à l’instar des centuriations, les nouveaux parcellaires sont la manifestation du pouvoir politique. C’est l’expression physique de l’ordre seigneurial ”.
 
 

- Le parcellaire, la toponymie… qui pourront apporter des éléments de réponse originaux à la présence ou à l’absence d’un habitat (terres de défrichements du type artigues jusqu’au XIIe siècle, territoires médiévaux cadastrés etc).
 
 

Les réseaux de formation, en particulier ceux des bastides, seront un terrain particulièrement propice à l’étude des structures bâties à l’écart de ces villes neuves, mais liées à elles: terres en marge avec bordes, granges, voire villages assimilés pourront ainsi être étudiés en relation avec les développements parcellaires, la voirie. En Bigorre par exemple une part notable de la voirie de la plaine semble d’origine antique. Un certain nombre de limites communales utilisent actuellement cette voirie, pérennisation possible de limites médiévales. Quel a été le rôle de cette voirie préexistante dans la structuration de l’habitat et des limites seigneuriales et/ou paroissiales ?
 
 

Benoît Cursente a posé de manière originale la question du lien de l’habitat à la terre (Des maisons et des hommes, op. cit.); il considère que l’ensemble de l’habitat gascon était initialement (dès le Xe siècle ?) structuré en casaux, exploitations autonomes (ferme habitée, dépendances et terres de taille variable) dispersées sur un territoire (villae…), pouvant former de véritables hameaux à base familiale, et que la création de l’habitat groupé ne modifia réellement cette structure qu’à la fin du moyen-âge, avec l’apparition d’un nouveau mode de pensée (et de prélèvement fiscal) basé sur la domus, la maison, le feu, et plus sur l’exploitation agricole dans son ensemble, comme dans les bastides du XIVe siècle. Dès lors le territoire rural ne fut plus, sauf exception, occupé que par des granges et habitats secondaires de type borde, dépendant d’un maître de domus non résident.

Cette hypothèse (ici très simplifiée) a pour mérite de fournir une explication cohérente à la dispersion générale de l’habitat gascon depuis le moyen-âge. Elle pose aussi des jalons pour la compréhension de l’habitat dispersé avavnt le XIe siècle.

Il faudra intégrer ce modèle à notre recherche sous des formes particulières: quel est le rôle du casal dans les défrichements ? Ces casaux ont-il une traduction visible dans le parcellaire ? Comment le casal a-t-il disparu pour se transformer en borde (par exemple par abandon d’une ferme puis remploi des ruines en grange) ? Quel est le lien de continuité entre l’habitat fermier dispersé moderne et celui que montrent les cartulaires dès le XIe siècle ?
 
 
 
 

III- La continuité relative des cadres territoriaux ?
 
 

A l’intérieur de cette même problématique, il faudra ainsi s’interroger sur la stabilité relative du cadre paroissial et seigneurial pour le moyen-âge. En effet on sait depuis fort longtemps que les éléments les plus stables d’un territoire donné sont souvent l’église et le château, qui servent souvent de “ marqueurs ” historiques et archéologiques, et sont la base de toute la typologie de l’habitat. Nombre de mottes et de châteaux ont disparu entre le XIe et le XVe siècle, et les églises trouvées en fouilles sont bien plus nombreuses que celles qu’indiquent les textes entre le Xe et le XVe siècle.

Or on sait que l’habitat se regroupe souvent autour de ces lieux de culte et/ou de pouvoir, assurant souvent la sécurité du groupe. Et la chute et la chute de l’un entraîne souvent la disparition de l’autre. Cette dialectique entre habitat, église et château est le cadre des études actuelles sur les castra et les enclos ecclésiaux (par exemple dans la thèse de D. Baudreu).
 
 

Essayons d’aller un peu plus loin. Toute église paroissiale possède au bas moyen-âge un territoire paroissial, qui est son ressort spirituel mais surtout financier, qui fixe l’ensemble de ses paroissiens (et des dîmes liées). On peut donc se demander quel lien existe à moment donné entre une limite paroissiale connue et l’habitat dispersé qui s’y trouve lié. Le cadre paroissial a-t-il limité à un moment ou à un autre l’extension d’un habitat (pour éviter par exemple un conflit de dîme entre deux paroisses voisines) ? La création de certaines paroisses est-elle liée à l’existence d’ “ habitats intercalaires ” suffisamment peuplés pour nécessiter une église et un prêtre ? Comment se sont créées ces paroisses et ces limites paroissiales nouvelles ?

Il pourrait être intéressant de réaliser une étude générale sur les dates de formation de ces paroisses, à la manière de Michel Aubrun dans sa thèse, ou de Jean-Bernard Marquette pour le Bordelais, et de comparer les résultats obtenus avec les anomalies dans les parcellaires et l’habitat, pour voir s’il existe ou non des correspondances entre les paroisses créées et les territoires transformés dans leur parcellaire. Les difficultés restent nombreuses ici, en particulier pour les paroisses les plus anciennes. En effet on ne connaît que fort mal le mode de formation et la datation des limites paroissiales, d’autant qu’en Bigorre la documentation est presque nulle sur ce sujet avant 1342. De fait un risque existe qu’il soit impossible de délimiter les paroisses formées, même en datant leur apparition par l’archéologie et l’hagiotoponymie, et donc de ne pas pouvoir faire de corrélation avec l’habitat contemporain retrouvé .
 
 

Nous prendrons un unique exemple qui illustrera cette réflexion. Dans la marge est du territoire communal de Vic-en-Bigorre se trouve l’ancienne seigneurie de Soubagnan, dont la plateforme castrale était implantée sur une villa du bas-empire, et dont un seigneur est cité vers 1150 (Ramundus Soubanha, dans Larcher). Cette seigneurie est traversée par l’Adour, et la toponymie indique que la centaine d’hectares aujourd’hui vicquois sur la rive droite de l’Adour se nomme Les Artigues.

La toponymie ne laisse guère de doute, nous sommes en présence d’un toponyme de défrichement, défrichement peut-être initié par les sires de Soubagnan pour agrandir leurs terres sur des barthes. Or un fragment de pouillé du XIIIe siècle cité par Larcher signale une église dans ce quartier. Nous avons donc peut-être vers le milieu ( ?) du XIIIe siècle une paroisse formée ou en formation, séparée de Soubagnan par une puissante limite, l’Adour. Or en 1276 Les Artigues sont donnés à l’abbaye de la Casedieu, et dès lors on ne retrouve aucune mention de cette église ni de son habitat, même si on est certain que les terres y étaient cultivées. En 1536 encore les habitants de Vic, qui ont racheté Soubagnan, disen que tenen ung tros de padoen en Artiguas, et ne fen a monsseinhor de la Casadiu syeis ardits

Sous réserve d’une confirmation par l’archéologie, nous pourrions avoir ici un exemple de paroisse formée grâce à un défrichement sur les marges d’un finage, mais qui ne put se maintenir à cause de la mainmise par une abbaye puissante (textes et documents dans S. Abadie, L’occupation du sol dans les cantons de vic-en-Bigorre et Trie-sur-Baïse, t.I, p.80).
 
 

On peut poser le même type de question pour les limites des seigneuries : si on sait que l’habitat est souvent groupé autour du siège du pouvoir seigneurial, motte, château, abbaye… quelle a été l’influence de ce même pouvoir pour limiter ou au contraire favoriser l’exploitation des marges de la seigneurie, et donc l’implantation d’exploitations plus ou moins indépendantes ? Quelle a été l’influence de ce pouvoir (ou des pouvoirs voisins) dans l’évolution de ces habitats intercalaires ou isolés ? Existe-t-il un lien direct entre habitat “ de marge ” et extension du cadre de la seigneurie ? On peut reprendre l’exemple des seigneurs de Soubagnan. Ces seigneurs ont-il favorisé le défrichement de terres boisées et de barthes qui ont donné naissance à ce village satellite des Artigues entre le XIe et le XIIe siècle par exemple? Une prospection au sol très fine permettrait peut-être de poser des jalons.

On peut poser la même question dans un cadre différent. On sait par une série de documents que les communautés de Tarbes, Ibos, Juillan et Bordères se disputèrent pendant longtemps les marges de leurs territoires respectifs, à savoir les terres de Cognac et Bastillac. Par ailleurs Benoît Cursente a récemment démontré la dispersion de l’habitat dans ce territoire d’Ibos, et sa progressive concentration autour du principal enclos ecclésial entre le XIIe et le XIVe siècle. Les limites revendiquées par les différentes communautés voisines étaient-elles peuplées, ou bien s’agissait-il de simples terrains de parcours ? Y a-t-il eu des tentatives d’implantation d’habitat dans les territoires de Cognac ou de Bastillac, ou bien alors ces terres devenues répulsives par leur insécurité ont-elles fait disparaître au contraire les habitats qui y subsistaient (on sait que plusieur abadies ont disparu dans cette période) ? Ici encore seule la prospection permettra de réaliser une confrontation pertinente avec les textes (ensemble des données disponibles dans B. Cursente, Des maisons et des hommes, op. cit., p.316 sq.).
 
 

Il est évident ici que toute étude sérieuse se heurtera à la question de la documentation écrite et de la prospection, extrêmement maigres sur ces sujets en Bigorre.
 

IV-Seigneurs, démographie, économie et paysans
 
 

Ces derniers exemples permettent d’aborder le problème humain. Ce sont des hommes qui défrichent, construisent les maisons, les habitent. Quels sont les moteurs de cette dynamique ? L’étude risque d’être impossible pour le haut moyen-âge, limitée pour le moyen-âge. 
 
 

On pourra par exemple se demander quel est le rôle et le poids exact des seigneurs, non seulement dans la fondation des villages neufs à partir des années 1100, mais aussi dans celui de l’habitat en général. Tel seigneur a pu favoriser les défrichements dans un contexte de croissance démographique (certaines artigues…), telle abbaye les freiner (le cas de la bastide avortée de Carsan, près de l’Escaladieu, mérite un examen attentif). 

Maurice Berthe a montré dans sa thèse la médiocrité générale de la noblesse bigourdane vers 1300, à l’exception de quelques barons et vicomtes. Ceux-ci, comme le vicomte de Lavedan, ont-ils favorisé la création de villages groupés (c’est le cas d’Andrest en 1303 pour ce vicomte) ? A l’opposé, la plus petite noblesse, les damoiseaux et seigneurs sans titre cités dans le censier de 1300, ont-ils joué un rôle dans la constitution de l’habitat de leurs petites seigneuries ? Au niveau des comtes de Bigorre, les Fors de Bigorre, le cas des “ villes de Bigorre ” dotées de chartes comtales au XIIe siècle (Tarbes, Vic, Bagnères, Lourdes, Ibos) devra retenir l’attention, par exemple, ainsi que les donations de seigneuries aux abbayes.
 
 

Il faudra également se demander dans quelle mesure l’individu a pu avoir un rôle moteur dans les constructions. On pourra s’interroger notamment sur le rôle du système successoral : problème de la dotation des puînés dans un système qui ne favorise pas forcément l’aîné de la famille, et qui a pu entraîner la parcellisation des domaines familiaux, et donc la multiplication des exploitations. Les rares registres notariaux donneront peut-être quelques indications de ce type (voir infra pour le problème du lien entre l’habitat et la transmission patrimoniale).

Dans certains cas on pourra mettre en avant l’intérêt personnel de certains individus ou de groupes dans la constitution de patrimoines, ou dans l’échec de tentatives : par exemple pour le XVe siècle on sait que les consuls de Vic-Bigorre avaient un droit de regard sur les constructions à l’intérieur du castrum comtal, et qu’ils conservaient le double des actes (testaments, donations…). Ces consuls avaient un pouvoir réel, car au milieu du siècle plusieurs d’entre eux furent accusés par les habitants menés par le curé d’avoir effectué des achats de terrains pour leur intérêt personnel et au mépris de celui de la bésiau (arch. de Plantis, in Larcher, Glanages, t.IV).

Le seigneur d’Andrest, en 1340, voulut obliger les habitants de son village fondé en 1303 à venir s’installer dans la barbacane de son château. Peine perdue, un terrier du XVIe siècle montre que l’habitat n’a absolument pas bougé ; une prospection de l’emplacement de la barbacane a livré des tessons médiévaux si rares (2, dans un champ labouré !) qu’ils ne peuvent que conforter l’idée de l’échec de cette tentative de regroupement. Ici l’inertie paysanne dut être la plus forte. 
 
 

On sait aussi depuis longtemps l’importance de la croissance démographique dans ces créations d’habitats jusqu’au XIIIe siècle. Il faudra s’interroger sur son importance en Bigorre, ses nuances, qui pourront aider à expliquer certains échecs et l’abandon de nombreux villages.
 
 

Il sera également utile de se poser le problème de l’économie, sous toutes ses formes. On pourra se demander par exemple à partir des chartes si la diffusion du numéraire (fin du XIIe ou XIIIe siècle en Bigorre ?) a favorisé la vente et le transfert des habitats entre particuliers. On pourra se demander aussi si le développement de l’élevage et de la vigne n’a pas exclu l’habitat de certaines zones (certains coteaux pour la vigne ; il existe un acte de 1214 cité par P. Tucoo-Chala signalant des troubles entre des pasteurs transhumants et les autochtones dans les enclaves béarnaises). Il faudra se poser la question des voies commerçantes (voies Jacquaires…) qui ont pu focaliser l’habitat et entraîner la formation de locaux à fonction commerciale (création de maisons à embans à l’est du castrum de Vic par exemple, dès le milieu du XIVe siècle probablement). Pour le XVIIe siècle enfin il sera utile de corréler la création progressive des impôts royaux sur les fortifications et autres, et la destruction de ces mêmes fortifications.
 
 
 
 

V- Territoire et parenté 
 
 

Si nous paraphrasons ainsi le titre de l’article de Bernard Derouet (Annales ESC 1995), c’est d’abord parce que cet auteur propose une vision du territoire qui peut être féconde dans notre problématique. Celui-ci s’interroge sur le sens de la propriété communautaire (les padouens en particulier), et sur les liens qui lient cette propriété à la propriété individuelle et à sa transmission. En simplifiant à outrance sa pensée, on peut dire que pour lui les sociétés d’Ancien Régime ne cloisonnent pas comme le fait le droit moderne les deux types de propriétés, publique et privée, mais considèrent par exemple les padouens comme des biens indivis à transmission privée et fermée (en Bigorre cet accès aux padouens n’est possible que par une difficile entrée dans la vesiau du village).

Cette interpénétration entre les deux droits, et donc entre les intérêts publics et privés, pourrait donner une clé d’explication dans la structuration de l’habitat et du terroir : le respect très fort des padouens et des bois communs peut ainsi s’expliquer par leur caractère à la fois public et privé (on dégrade plus facilement un espace public qu’un espace qui vous appartient, même partiellement). Ce même mode de pensée pourrait permettre d’expliquer en partie la formation d’un esprit communautaire (de type vesiau) par la nécessité de gérer en commun des espaces.
 
 

Par ailleurs, il pourrait être pertinent de suivre quelques familles et de reconstituer régressivement leur généalogie et leurs biens, pour comprendre les politiques familiales, la part du patrimoine privé par-rapport au patrimoine “ public ”, le rôle de la transmission à l’aîné ou du partage égalitaire (d’après J. Poumarède, la Bigorre est dans une situation intermédiaire).

Nous pensons qu’une telle étude pourrait être réalisable pour l’époque moderne en Bigorre, et fournir un modèle d’explication à l’échelle individuelle : pourquoi telle “ maison ” (au sens terrien et social) s’est-elle maintenue alors que telle autre a disparu ou a éclaté entre de multiples héritiers ? Quel a été le poids de l’indivision, de la dotation des puînés dans la constitution ou la destruction des patrimoines ? Nul doute que les facteurs privés ont eu un rôle non négligeable dans la constitution et la dynamique de l’habitat, surtout si les bigourdans pensaient l’espace en terme de casaux (exploitations agricoles, avec habitation et terres) fractionnables ou non, qui avaient une assise terrienne forte.
 

d- Analyse diachronique ou périodisée de l’évolution villageoise ?
 
 

I- la nécessité d'une vision périodisée
 
 

Les modèles d’habitat villageois ont été soigneusement encadrés de fourchettes chronologiques, afin d’en mesurer l’ampleur et la durée. Exercice nécessaire certes, qui permet des recoupements avec les autres formes d’habitat villageois pour en mesurer la succession, par exemple pour mesurer le temps de diffusion de l’incastellamento depuis l’Italie jusqu’à l’Atlantique, selon la thèse fameuse de Pierre Toubert.
 
 

Une recherche plus générale sur l’habitat médiéval bigourdan pourrait ainsi prendre pour support les cartulaires censiers du bas moyen-âge (comme l’avait fait Maurice Berthe dans sa thèse), pour une confrontation systématique avec les données archéologiques. Une étude systématique des mentions et du vocabulaire pourrait peut-être permettre d’pprocher dans un premier temps les différentes phases d’apparition documentaires des habitats structurés. Mais le résultat aura pour défaut de ne pas expliquer ni dater précisément l’origine des structures identifiées. Par contre on peut supposer que la documentation permettra d’étudier facilement la chronologie et les phases d’évolution à partir du XIVe siècle (création des dernières bastides, évolution de l’habitat, restructuration après les destructions de 1569-1570, remodelage progressif au XVIIe siècle par la destruction des murailles par exemple etc).
 
 

Une étude en prospection sur l’habitat du haut moyen-âge, si elle aurait pour mérite de comprendre en partie l’origine des habitats postérieurs, ne pourra elle s’appuyer sur aucun texte (en Bigorre on n’a de documentation que pour Tarbes et Saint Lézer, et encore les mentions se comptent sur les doigts de la main…).
 
 
 
 

II- l'intérêt et l'originalité d'une vision diachronique
 
 

Une étude de l’habitat médiéval sur le temps long, en intégrant la périodisation dans une vision plus large, aurait de nombreux intérêts :
 
 

    la multiplication des sources documentaires : Il serait possible d’employer les sources archéologiques antiques et les censiers de la Renaissance au XVIIIe siècle, au besoin de les croiser, pour une meilleure localisation et identification des sites.
    Une meilleure compréhension de l’évolution des modèles villageois “ classiques ” : on s’est presque toujours contenté de juxtaposer ces modèles sur la frise, et non d’en étudier les interpénétrations. Or, l’intérêt d’un modèle est aussi d’en mesurer la pérennité et les évolutions dans le temps. Pour reprendre un exemple bigourdan déjà traité, le village de Castera-Lou, qui est un bourg castral, avant 1330, devient à cette date une bastide sur le plan juridique par l’adoption des coutumes de Rabastens. Or cette adoption d’une charte ne s’est pas apparemment traduite sur le terrain par un changement notable de l’habitat, ce qui prouve ici la stabilité du bourg castral.
    Une compréhension plus générale de la création, de la disparition, de l’évolution de l’habitat dispersé et/ou groupé. La recherche systématique et la datation de ce type d’habitat permettrait peut-être, mis en corrélation avec les événements historiques connus par ailleurs, une analyse plus fine des périodes d’extension ou de rétraction des terroirs agricoles, et des modes de mise en valeur.
Cette analyse diachronique permettrait ainsi de rechercher les signes de continuités et de discontinuités dans l’occupation du sol. Une analyse sur le temps long, du Ve siècle au XVIIe siècle par exemple, intégrant l’étude systématique de l’habitat groupé et dispersé, ainsi que du cadastre et du réseau routier, pourrait offrir des possibilités d’étude tout à fait originales, et dépasser largement le cadre des problématiques actuelles en intégrant aux problèmes d’habitat les questions de mise en valeur du sol, de limites territoriales... tout en éclaircissant le problème de l’origine et du devenir de l’habitat médiéval, ce dernier point trop rarement abordé.

 
 
 
 

4- Une méthodologie à définir
 
 

a- La collecte des informations
 
 

I- En archives
 
 

Une première étape dans notre recherche sera de consulter toutes les sources d’archives disponibles pour le secteur étudié, afin d’en retirer plusieurs types d’information :
 
 

    des structures d’habitat médiéval fossiles, repérables grâce aux censiers modernes, aux cadastres napoléoniens…
    des éléments de cadastrations et de voirie disparus
- des indices d’habitat non encore repérés: ici se posera le problème de l’analyse des texte et du vocabulaire employé, mais permettra in fine d’avoir une première approche du problème.
    des éléments de datation des structures isolées, qui pourront être mis en corrélation avec les structures découvertes en prospection, au moins pour la fin du moyen-âge et l’époque moderne.
    des indices sur les seigneurs, les occupants éventuels…
La difficulté principale sera ici de gérer le volume de données, qui sera probablement énorme pour la fin du moyen âge et l’époque moderne, et quasi-inexistante avant le XIe siècle.

 
 

La méthode de recherche employée, fort classiquement, aura une base régressive : utilisation systématique des archives contemporaines (cadastres…), puis modernes (du XVIe au XVIIIe siècle) pour déceler des structures, des toponymes disparus pouvant avoir une origine médiévale, puis confrontation de ces données avec la documentation la plus ancienne (médiévale) et avec le terrain. C’est l’accumulation des indices et des données de terrain qui sera la base de notre réflexion.
 

II- Sur le terrain
 
 

La recherche sur le terrain devra être systématique et diachronique , c’est à dire ne laissant de côté aucune période:

Le problème majeur ici est celui de la localisation archéologique des structures bâties. On pourrait envisager une méthode de prospection progressive par territoire communal:
 
 

- prospection à pied de l’habitat groupé d'abord: le plus évident, le mieux documenté souvent

- prospection à pied de l’habitat dispersé: autour des sites d’habitat groupé, puis par prospection extensive sur tout le territoire d’une commune donnée, avec repérage cartographique systématique

- enfin une analyse plus fine: par carottage, éventuellement par sondage ponctuel.

- On peut également envisager des techniques d’analyse globale par des moyens moins conventionnels: photographies aériennes verticales (IGN) et obliques en particulier, qui révèlent souvent beaucoup de détails invisibles par ailleurs. 
 
 
 
 

b- L’analyse de la documentation et ses limites
 
 

L’analyse de la documentation risque de se heurter à plusieurs écueils difficilement contournables :
 
 
 
 

I-La documentation écrite :
 
 

Quelques sondages ponctuels ont livré une documentation assez importante entre le XIIIe et le XVe siècle. Cependant cette documentation est souvent très peu explicite, et les localisations partielles ou impossibles. Nous ne pouvons exclure l’hypothèse d’une impossibilité de mettre en relation les textes et un grand nombre de sites archéologiques repérés.
 
 

Par ailleurs, les textes antérieurs au XIIIe siècle sont très rares, et inexistants avant le Xe siècle : l’analyse ne pourra donc être qu’archéologique, avec tous les risques et approximations de datations et d’interprétations que cela représente –surtout en se cantonnant à des prospections. 
 
 
 
 

II- Les sites archéologiques
 
 

La première difficulté est celle de la prospection archéologique : beaucoup de terres sont en herbe ou en bois, ou même bâties, et ne pourront pas livrer d’indices archéologiques. De plus, il est déraisonnable d’envisager une analyse archéologique systématique de toute la Bigorre : il faudra probablement se cantonner à quelques territoires ponctuels et représentatifs, selon des critères qui restent à établir. 

Dans tous les cas l’image “ archéologique ” donnée par la prospection ne pourra être que partielle et donc partiale, et il faudra en tenir compte en permanence. 

Nous avons par exemple identifié en 1996 une série de petits habitats disparus dans le quartier de Soubagnac, datables de l’antiquité tardive et de l’époque moderne (par des tegulae et divers tessons). La datation par la céramique est très aléatoire, flottant souvent sur plusieurs siècles. La datation par le matériau de construction est impossible, ces habitats étant construits en terre et galets (peut-être avec du pan de bois et torchis disparus), l’auréole de galets permettant seule la localisation. Par ailleurs il est évident que seul un heureux hasard (photo aérienne) permettra de localiser ces habitats près d’une route fossile (difficiles à repérer dans cette zone) ou d’une limite parcellaire ancienne, et de les mettre en relation avec d’autres habitats en l’absence de tout document écrit.
 
 

L’autre problème majeur est celui de l’interprétation des structures. La Bigorre est avant tout une vaste vallée dont le sol argilo-siliceux ne conserve pratiquement que la céramique, très mal les artefacts métalliques, et n’offre d’autre matériau solide que le galet roulé de l’Adour et une molasse médiocre.

Il ne suffit pas en effet de trouver un habitat, encore faut-il pouvoir l’ “ exploiter ”. Or l’habitat rural bigourdan est construit depuis l’antiquité en terre crue (qui ne laisse pas de traces au sol), en torchis ou en galets (il laisse de grandes auréoles pierreuses au sol). De plus, nos premières recherches l’ont prouvé, le mobilier céramique est toujours très rare, sinon inexistant. Trois difficultés se posent ici :

- l’identification précise de certains habitats : comment déceler au sol la différence entre une auréole trahissant un habitat disparu sans matériel et une “ lentille ” de galets affleurants ? L’archéologie aérienne sera peut-être ici d’un grand secours.

- la discrimination des habitats : si on trouve un ou deux tessons sur un site d’habitat donné, comment faire la différence entre une grange et une véritable ferme qui n’aurait été occupée que fort peu de temps ? le problème semble d’autant plus insoluble qu’au bas moyen âge la limite entre les deux semble avoir été fort ténue dans le Béarn voisin (Voir les remarques de B. Cursente dans le IVe colloque d’Arzacq, 1997).

- la datation des habitats : si notre connaissance de la céramique des XIIIe- XVe siècle a progressé grâce aux récentes fouilles, nous ne connaissons que fort mal la céramique locale des Xe-XIIe siècle, et pas du tout celle des VIe-Xe siècle. Il faudra donc travailler la datation des céramiques avec les spécialistes locaux pour pouvoir obtenir des fourchettes de datation utilisables.

Une dernière difficulté, liée à la précédente, est celle de la compréhension des liens de continuité entre deux sites proches ou superposés (en particulier les habitats antiques sous certains villages médiévaux qui ont conservé un toponyme gallo-latin), et entre habitat groupé et dispersé contemporains. La résolution au moins partielle de ces problèmes sera en grande partie liée à la datation précise des différents sites, ce qui revient au problème précédent de la datation céramique, et d’éventuelles datations au C14 lors de sondages ponctuels. 

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Pour me contacter: stephane.abadie@ac-toulouse.fr


 
 

Dernière modification : 19/11/01,07:13:04