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Cet article a été publié sans plan et augmenté de photographies du général André Mengelle dans le bulletin 2000 de la société académique des Hautes-Pyrénées. Il a également été transmis au dossier du SRA à Toulouse. | |
DE TROUGNAN (commune d'ANDREST,
Hautes-Pyrénées)
Par Stéphane ABADIE, avec la participation de Jean-Pierre CARRERE et Francis GUINLE
Localisation:
Le
site est implanté au sud de la commune d'Andrest, près de
la commune de Bazet, à une centaine de mètres de l'actuelle
route départementale, parcelle cadastrale section C numéro
42 (cadastre révisé de 1995), quartier dit de Trougnan ou
Pesquida (Carte IGN 1745 Ouest de Tarbes, coordonnées LAMBERT x=415,84;
y=3313,83; z=261 mètres).
Le site se trouve à l'intersection de deux chemins très anciens, partiellement goudronnés aujourd'hui, orientés nord-sud et est-ouest, et actuellement en cours de démantèlement. Le premier est attesté au XIVe siècle, reliant les villages d'Andrest et Oursbelille, mais est probablement bien plus ancien. Il subsiste quelques traces du second, dont un tronçon permettant d'accéder au site, qui donnait encore accès au village voisin d'Aurensan au siècle dernier. D'après S. Doussau il pourrait s'agir de deux voies d'origine antique, faisant partie d'une centuriation. Au
bord du chemin, une croix en fer forgé du XVIIe ou XVIIIe siècle,
sur un socle en briques du XIXe siècle, rappelle l'emplacement du
village disparu de Trougnan, commémoré par une plaque de
marbre fixée sur ce socle. La procession de la paroisse d'Andrest,
disparue depuis un demi-siècle, faisait halte également sur
cette parcelle, près d'une source aujourd'hui tarie.
Conditions
de la découverte:
Cette
structure a été découverte fortuitement par Jean-Pierre
Carrère lors de travaux réalisés au début du
mois de mars 1999 dans un champ communal: un bulldozer, chargé d'enlever
des broussailles pour permettre une plantation de platanes, a mis à
jour un fragment de mur maçonné en décapant le sol
sur une dizaine de centimètres de profondeur. La zone a été
immédiatement isolée pour en permettre l'identification et
la sauvegarde.
Description:
La structure dégagée est complètement arasée, elle ne peut être analysée qu'en plan. Il s'agit d'un bâtiment orienté est-ouest, à nef unique et abside semi-circulaire contrefortés. La nef mesure 540 cm de largeur extérieurement, pour 410 cm intérieurement, avec des murs de 60 à 70 cm d'épaisseur, l'épaisseur maximale se rencontrant dans l'axe de l'abside. La
longueur totale du bâtiment n'a pu être évaluée,
n'étant pas dégagée, mais elle est supérieure
à six mètres. L'abside semi-circulaire
se développe en continuité de la nef sur environ deux mètres.
Cette
nef est épaulée de contreforts. Deux d'entre eux ont été
repérés, le contrefort sud moins délité mesurant
100 cm de largeur pour 60 cm d'épaisseur, avec son pendant sur le
mur nord. L'abside est épaulée également d'un contrefort
axial de 110 cm de largeur pour 40 cm d'épaisseur.
Sur
la face intérieure des murs gouttereaux nord et sud apparaissent
les bases de piliers ou contreforts intérieurs de 40x70 cm bâtis
en galets, implantés au niveau des contreforts extérieurs,
mais en léger décalage.
L'ensemble
de la structure est bâtie en galets maçonnés dans un
mortier de chaux maigre très délité. Les plus gros
galets sont employés dans les angles des contreforts et sur les
faces. Le mortier, assez bien conservé au niveau de l'abside et
du contrefort sud, présente une forte proportion de sable de rivière
(mortier maigre), qui explique en partie son piètre état
de conservation.
Analyse
et commentaire:
Nous sommes ici en présence d'un petit bâtiment de culte, comme l'attestent la parfaite orientation et la forme particulière du bâtiment, à abside et contreforts. Il était sans doute charpenté, étant donné la faible épaisseur et la qualité des murs. On ne sait si le cimetière entourait le bâtiment, mais c'était sans doute le cas d'une partie au moins du village médiéval, comme le montre la céramique retrouvée (voir infra). La
faible épaisseur des murs, construits dans un matériau médiocre,
est compensée par la présence de contreforts plats extérieurs.
La base intérieure retrouvée peut être interprétée
comme un arc triomphal soulignant l'entrée du sanctuaire, ou bien
comme un arc doubleau destiné à contreforter également
les murs et la charpente.
La
documentation écrite permet d'identifier cette église à
celle du petit village de Trougnan, connu dès la fin du XIIIe siècle
(avant 1272) , et ancienne paroisse citée dans le pouillé
de Bigorre de 1342.
Une tradition rapportée par la monographie de l'instituteur en 1887, mais non confirmée par les textes, affirme que cette église était dédiée à saint Barthélémy, comme l'actuelle église paroissiale. Par ailleurs deux bases de colonnes romanes en marbre gris des Pyrénées (pierre « de Lourdes »), à griffes d'angle de forme sphérique, sont conservées comme support de cuve baptismale dans l'actuelle église paroissiale. La tradition rapporte que ces deux bases proviendraient soit de l'église de Trougnan, soit de l'église disparue Saint-Vincent-d'Andrest. On ne peut envisager la présence de tels supports à Trougnan, sauf comme éléments décoratifs de piédroits du portail d'entrée, ce qui reste à démontrer. Le
cimetière se trouvait à proximité, comme l'atteste
le même instituteur en 1887, qui y signale une série d'exhumations.
Le décapage n'a cependant livré aucun ossement autour de
l'édifice: celui-ci était-il disjoint de son cimetière
?
Cette église se rattache à une catégorie d'églises romanes charpentées identifiées dans le Gers par Paul MESPLE, le type V «à nef unique et abside semi-circulaire avec contrefort axial». Cet auteur relève vingt églises et chapelles de ce type dans la Gascogne gersoise. Les églises de Saint-Ost, Vicnau-d'Astarac et Saint-Martin peuvent être rapprochées de celle de Trougnan par les mesures et la disposition des contreforts. L'église de saint-Ost présente une très ancienne dédicace à l'évêque de Tarbes saint Fauste (VIe siècle), l'église de Vicnau-d'Astarac est citée en 1190 mais remonte plus haut dans le temps car son sanctuaire présente une reprise antérieure, et l'église de Saint-Martin est citée par Dom Brugèles dans une donation de 1056. L'auteur note également que nombre de contreforts axiaux sont percés d'une fenêtre, ce qui ne peut être vérifié à Trougnan. Ces trois bâtiments pourraient remonter au XIe siècle, si on en croit l'analyse architecturale et la rare documentation. On
peut également citer dans cette catégorie le contrefort axial
de l'abbatiale de Larreule (XIe et XIIe siècle), ainsi que le contrefort
axial percé d'une fenêtre de l'église de Puntous en
Magnoac (XIe siècle). A une autre échelle, la cathédrale
Notre-Dame de la Sède à Tarbes présente une disposition
semblable (XIIe siècle, sur un édifice plus ancien cité
en 1080).
Le
travail sur les églises de la Gascogne romane,
par l'abbé Jean Cabanot (éditions Zodiaque,1992), montre
également une série d'églises de ce type. Les absidioles
de l'église de Maubourguet, datées de la première
moitié du XIe siècle, présentent un contrefort axial
percé d'une fenêtre à ébrasement. La petite
église de Bellocq-Saint-Clamens, de la même période,
présente un chevet polygonal à fenêtre percée
dans un large contrefort axial, avec une disposition identique dans les
angles, et avec un arc triomphal marquant la séparation nef-chevet.
D'autres églises du XIe siècle, à chevet plat, comme
l'abbatiale de Peyrusse-Grande, présentent ce même type de
contrefort axial percé d'une fenêtre.
Par
comparaison architecturale, et en l'absence d'indices archéologiques
probants, nous proposons donc le XIe siècle comme siècle
de construction de cette petite église rurale, sans pouvoir être
plus précis actuellement.
Le
village de Trougnan:
Le village de Trougnan est cité pour la première fois dans une liste du cartulaire de Bigorre, vers le milieu du XIIIe siècle, comme relevant du comte de Bigorre. Il est cité ensuite dans l'acte d'échange de la vallée de Barèges conclu en 1272 entre le comte de Bigorre Esquivat de Chabanes et le vicomte Ramon-Garcie de Lavedan. Le comte donne à cette occasion à son vassal cinq villages, dont Andrest e Trulha (Trougnan). Le village de Trougnan n'est plus cité par la suite dans le cartulaire des vicomtes de Lavedan, ses habitants et son territoire semblent intégrés à la seigneurie et communauté d'Andrest, et son village neuf fondé vers 1303. En 1342 cependant l'église de Trougnan existe encore comme église paroissiale dans l'archiprêtré d'Orleix: Item archipresbyter de Orleixo habeat sub se capellanos et ecclesias [...] de Troinhano. La culture des terres semble s'être poursuivie sans discontinuité: le prieuré de Saint Lézer lève encore en 1402 le huitième des dîmes des blés et certaines oblies pour environ un franc, dues à Noël (Item in loco deAndresto, in territorio de Troinhano, medium quartum decimae omnium bladorum, nec non et in diversis possessionibus recipit oblias in festo Natalis Domini, quae ascendunt ad summam unius franchi). En
1614, le chroniqueur Guillaume MAURAN explique que « durant la vie
dudit Arnaud de Lavedan fut fait le changement ou transmigration du lieu
de Troigan au lieu où est maintenant le lieu d'Andrest, de telle
façon que le terroir de Troignan demeura dépeuplé
de maisons et réduit en labourage, et jusqu'aujourd'huy a été
la métairie du château d'Andrest ».
Si on en croit cet ensemble documentaire, Trougnan serait un village paroissial du domaine comtal à la fin du XIIIe siècle, dont le dépeuplement aurait été amorcé volontairement par le vicomte de Lavedan vers 1303 pour peupler l'actuel village castral d'Andrest, implanté à proximité d'un site castral plus ancien ( la « motte » ou casted ancia) et d'une église Saint-Vincent, le tout à environ un kilomètre au nord de Trougnan. L'abandon
ne semble pas avoir été total toutefois, puisque l'église
a continué à fonctionner au cours du XIVe siècle,
et qu'au moins une métairie existait encore là au début
du XVIIe siècle. Il est difficile cependant de préciser la
chronologie de cet abandon, car le déplacement possible des habitants
au début du XIVe siècle n'a pas nécessairement entraîné
l'abandon ipso facto des granges et autres bâtiments nécessaires
à la culture des champs voisins, non plus que de l'église
et son cimetière. On peut cependant poser la question du rôle
de la pandémie de Peste de 1348-1352 dans le dépeuplement
définitif, puisque l'église n'est plus mentionnée
dans le pouillé de Bigorre de 1379.
L'archéologie donne quelques informations complémentaires. Lors de prospections réalisées en 1995 nous avions relevé la présence dans les champs voisins de céramique antique (fragments de panse et de cols d'amphores, principalement de type Dressel I) et médiévale blanche, qui nous laissait présumer l'existence d'un site médiéval sur un site antique. Nous
ne pouvons préciser la nature du site antique, peut-être implanté
sous l'église médiévale, peut être une villa.
D'après R. Aymard, reprenant Louis-Antoine Lejosne et Michel Grosclaude,
le nom Trougnan serait lui-même dérivé d'un anthroponyme
gallo-latin Torculus, avec un suffixe de propriété en –anum.
Analyse
du matériel archéologique découvert lors du décapage:
Le
décapage au bulldozer a livré une soixantaine de tessons
très divers, en général très fragmentés.
La plupart des tessons sont des fragments de panse, peu de lèvres
ou de bords permettent de restituer des formes. La céramique est
en général rouge ou blanche, et se rapporte à des
types relevés par ailleurs pour la fin de la période médiévale
(oules...). Aucun tesson n'a pu être mis en relation avec une couche
archéologique ou une structure, les terres ayant été
très remaniées par le passage des machines et les racines
des arbres arrachés.
En reportant la répartition des tessons sur le plan cadastral, on relève une concentration relative au nord de l'église, sur un épandage d'une cinquantaine de mètres. On peut envisager ainsi la présence d'un habitat de la fin du moyen âge au nord de l'église, réserve faite des conditions de la découverte: les tessons, mis à jour par le bulldozer, ont pu subir des déplacements sensibles qui faussent toute analyse. Les rares céramiques modernes sont plutôt groupées au nord de la parcelle, sans pouvoir en dire plus. Ces tessons pourraient être liés à la présence d'un habitat tardif dans cette zone, peut-être la métairie vicomtale implantée là aux XVIe et XVIIe siècles. La présence d'une ancienne source est également attestée, disparue au début du siècle, qui pourrait aussi expliquer la présence de ces tessons. On
notera par contre la rareté de la céramique blanche, traditionnellement
considérée comme plus ancienne que la céramique rouge,
mais qui est ponctuellement présente dans les parcelles voisines.
Nous ne savons si cette absence est liée à la profondeur
du décapage, ou bien si le village était initialement dispersé,
ce que laissent supposer des concentrations de tessons en céramique
blanche, à plus d'une centaine de mètres au sud de l'église.
Conclusion
temporaire:
L'étude
de ce petit édifice de culte est digne d'intérêt, car
il s'agit du premier exemple de ce type identifié dans cette zone,
les églises romanes étant résiduelles en aval de Tarbes,
soit par reconstruction, soit par destruction partielle ou totale pendant
les Guerres de Religion. Le plan particulier de l'église de Trougnan
permet de la relier au grand mouvement de construction d'églises
rurales entrepris dans toute la Gascogne à la fin du Xe siècle
et au XIe siècle (mouvement dit de la Réforme Grégorienne).
Il permet enfin de compléter les rares informations dont nous disposions
par prospection sur le village paroissial de Trougnan qui était
associé à cette église.
Sources:
Abréviations: ADHP: Archives Départementales des Hautes-Pyrénées AGM: Association Guillaume Mauran GAPO: Groupe Archéologiue des Pyrénées Occidentales SAHP:
Société Académique des Hautes-Pyrénées
La
principale source non éditée est formée par les Glanages
de Jean-Baptiste LARCHER. Ils sont cependant d'accès aisé
par microfilm aux ADHP. Les autres sources principales ont connu diverses
publications:
BALENCIE (Gaston), Le livre vert de Bénac, SAHP t.I, 324 p. LEJOSNE (Louis-Antoine), Dictionnaire topographique du département des Hautes-Pyrénées, 1865, édition R. Aymard, Pau 1992 LUSSAULT (Agnès, dir.), Carte Archéologique de la Gaule, Les hautes-Pyrénées, CNRS et alii, Paris 1997 MAURAN (Guillaume), Sommaire description du païs et comté de Bigorre, 1614, 3e édition AGM 1998, 248 p. PERRIN
(Charles-Edmond, et alii), Les pouillés des provinces ecclésiastiques
d'Auch, de Narbonne et de Toulouse,
De Boccard, Paris 1972, 2 vol.
Eléments
de bibliographie:
ABADIE (Stéphane), L'occupation du sol dans les cantons de Vic-en-Bigorre et Trie-sur-Baïse, maîtrise de l'UTM, 1995, 2 vol., 286-261 p. ABADIE (Stéphane), Les cantons de Vic-en-Bigorre et Trie-sur-Baïse, rapport d'activités 1996, SRA90 p. ABADIE (Stéphane), CARRERE (Jean-Pierre), GUINLE (Francis), FONTAN (Michel), Andrest, histoire d'en savoir un peu plus, Andrest 1996, 96 p. ABADIE (Stéphane), Les multiples fondations du village d'Andrest (v.1272-1429), à paraître CABANOT (Abbé Jean), La Gascogne romane, éditions Zodiaque 1992 CURSENTE (Benoît), Des maisons et des hommes: la Gascogne médiévale, PUM 1998, 606 p. DOUSSAU (Sylvain), Découverte de la centuriation romaine du territoire des Bigerriones, GAPO 1996, p.139-168 LAFFITE-MATALAS (Pierre), Trougnan, mémoire de la SAHP, 198 p., aux ADHP série F MESPLE
(Paul),Eglises romanes du Gers, 90 plans et notices,
rééd. des Amis des Eglise Anciennes du Gers 1989, 60 p.
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