Montégut-Arros



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Monographie de Montégut-Arros (Gers)

Quatrième partie

LA SOCIETE


1-Évolution générale de la population
 

 Avant 1800, on ne possède que des données très partielles. La charte de 1356 livre dix noms de chefs de famille, ce qui constitue un minimum d'une cinquantaine d'habitants (sans doute bien plus, probablement plus d'une centaine de personnes). 
 Le livre-terrier de 1755 livre, lui, 98 noms de chefs de famille. Avec une moyenne de quatre à cinq personnes par foyer, on peut alors estimer la population à 400-500 personnes.

Les données deviennent plus fiables après la Révolution:
An VIII (1800): 588 hab.; 1806: 651 hab.; 1836: 820 habitants; Villecomtal compte 997 hab. à cette date; 1841: 792 ; 1851: 726 ; 1856: 713 ; 1872: 659 habitants, correspondant à 157 ménages dans 155 maisons; 1901: 531 habitants, 134 ménages pour 138 maisons ; 1911: 511; 1926: 429; 1936: 367; 1962: 333; 1968: 340; 1975: 335; 1982: 350; 1990: 328; 2001: 295 hab. (120 familles).
 

 Pour la période 1750-2000, l'évolution est celle que l'on constate un peu partout dans la région: une augmentation sensible de la population jusque dans les années 1840, avec des irrégularités liées aux premiers départs vers les villes (industrialisation) et l'outre-mer (émigration). Passé 1840, le chiffre de la population décroît avec le départ de familles entières vers les villes voisines et l'étranger. La crise du phylloxéra, à la fin du siècle, accélère ce déclin avec le départ des cultivateurs-vignerons qui possèdent les exploitations les plus « fragiles ». Au début du  20e siècle, le déclin se poursuit, avec notamment des décès liés aux deux guerres mondiales, mais surtout de nouveaux départs. La population, vieillie, n'a plus guère de dynamisme démographique. Le 20e siècle marque un lent déclin, qui n'a été qu'amorti par les quelques industries locales qui ont maintenu un peu d'emploi (dans les années 1970-1980). Le seul espoir actuel est la « rurbanisation », qui marque un retour de familles dans les zones rurales, avec la construction actuelle d'un nouveau lotissement qui pourrait inverser, à terme, la tendance. Actuellement cependant les plus du 60 ans sont plus nombreux que les moins de 25 ans...
 

2-Une société paysanne (18e-19e siècle)

 Tableau de synthèse de l'ensemble des registres paroissiaux conservés pour la commune de Montégut-Arros, de 1737 à 1882. Les registres postérieurs, non encore déposés, n'ont pas été étudiés.

Baptêmes, Mariages et Sépultures
B: baptêmes
M: Mariages
S: Sépultures
en gris: années manquantes
m: minimum (registre incomplet)

3-Les étapes de la vie

 Les comportements sociaux ne peuvent être étudiés que pour les 18e-19e siècle, avec de nombreuses lacunes liées aux manques dans la documentation, essentiellement les registre paroissiaux. Le lecteur prendra donc soin, pour chaque point, de noter les dates ou fourchettes chronologiques prises en compte. En particulier les notes « ethnographiques » sont essentiellement valables pour le 19e siècle et le début du 20e siècle.

 La famille était formée au 18e et 19e siècle par le chef de famille (qui pouvait être une femme, si celle si était veuve ou héritière du patrimoine1), son conjoint, leurs enfants, les grands-parents s'ils étaient encore en vie, et éventuellement les oncles et tantes. Par le système de la maison, ceux-ci étaient condamnés à rester « domestiques » de leurs aînés s'ils ne trouvaient pas conjoint dans une autre maison, ou ne partaient pas à l'aventure, vers la ville, l'Espagne ou les Amériques...
 La répartition par famille est significative sur ce point. En 1836, on compte 820 habitants et 154 couples pour 157 maisons, soit 5,2 habitants par maison en moyenne. En réalité, la commune compte alors 40 veufs et veuves, dont beaucoup de personnes âgées devant vivre seul(e)s, on doit donc majorer légèrement ce chiffre. En 1872, alors que la population a déjà fortement chuté, on trouve 659 habitants, correspondant à 157 ménages, dans 155 maisons. La moyenne est de 4,2 personnes par foyer. On est apparemment dans un système proche de la famille nucléaire (les parents plus deux enfants), mais le décalage ménage/maisons et la présence attestée par les registre de décès d'assez nombreux célibataires (des veufs âgés souvent) montre que beaucoup de foyers comptent encore les grands-parents toujours en vie, ou bien des oncles ou tantes. 

 Le recensement réalisé en 1856 dans la commune permet de réaliser une pyramide des âges.
 La  première constatation est que la population est relativement jeune, la moitié des habitants ont moins de trente ans. La deuxième constatation est que l'on observe une dissymétrie entre les hommes et les femmes: passé 50 ans, les femmes sont plus nombreuses que les hommes. On considère généralement que cette différence provient des comportements des hommes (plus d'alcoolisme, de prise de risque dans les travaux quotidiens...) mais on doit prendre également en compte les questions professionnelles (on trouve beaucoup de soldats dans ces générations). Cela est particulièrement visible dans la tranche d'âge des 65-70 ans: il n'y a presque plus d'hommes, les guerres de la Révolution et de l'Empire ont fauché la plupart des adolescents de cette époque. On observe par contre une reprise dans les tranches d'âge 25-40 ans. C'est la première génération (née lors de la Restauration monarchique) a ne pas avoir connu de crise frumentaire grave ni de guerre sur le sol français. La natalité a, de ce fait, progressé. Les chiffres sont cependant certainement réduits par les migrations qui ont déjà commencé. La sous-représentation des femmes peut s'expliquer par les mariages, les jeunes épouses suivant leurs maris dans les villages voisins ou à l'étranger.
 Par contre la base de la pyramide est rétrécie (de 0 à 20 ans). On peut émettre l'hypothèse que  les enfants ont suivi les parents dans leur départ vers la ville ou l'étranger, ce qui expliquerait cette sous-représentation. En effet les registres paroissiaux ne notent pas un fléchissement aussi sensible de la natalité dans la période 1835-1855 comme on pourrait s'attendre: les enfants et les adolescents du village partent alors (et sont déjà partis) en nombre.
Le bilan général que l'on peut tirer de cette pyramide est que la société de Montégut a connu une série de crises importantes depuis la fin du 18e siècle, qui ont marqué profondément sa démographie. Le dépeuplement de la deuxième moitié du siècle  s'annonce déjà dans la base rétrécie: les jeunes partent, et ceux qui restent seront peu nombreux (et auront, de plus, peu d'enfants).
 
 
 
 

 Les courbes des baptêmes et des sépultures, telles qu'elles peuvent être restituées à partir des registres paroissiaux, montrent pour le 18e siècle de nombreux « accidents » (chutes brutales des conceptions, comme en 1775) qui indiquent des crises sociales graves. Cependant en général les naissances sont plus nombreuses que les décès, et la population s'accroît lentement.
 

Ce n'est plus vraiment le cas au 19e siècle, les décès étant régulièrement plus nombreux que les naissances (les courbes se croisent: la population stagne voire diminue), ce qui contribue à la chute du nombre d'habitants.

3-1-La naissance

 La naissance se faisait à la maison. La parturiente était entourée par les femmes de sa famille, parfois des voisines ou une sage-femme. Les hommes, sauf le docteur s'il était là, restaient dehors jusqu'à la naissance. L'enfant était généralement baptisé le jour même. La mort était souvent proche, et il ne fallait pas que l'enfant meure sans le premier sacrement: il risquait de partir dans les limbes,  cet espace différencié du paradis, d'où il ne pourrait sortir faute d'avoir été lavé du péché originel.

 Si la naissance était considérée comme un bonheur, en revanche la naissance hors-mariage était très mal tolérée, car elle compromettait l'ordre social. En témoigne la mention écrite par le prêtre du village en marge du registre paroissial en 1779:

« Je soussigné déclare avoir publié l'édit et ordonnance de nos roÿs concernant la grossesse des femmes et filles de mauvaise vie, les dimanches seconds des mois de janvier, davril, de juillet et doctobre l'année 1778 en foÿ de quoÿ à Montégut le 16 janvier 1779.
Latapie curé de Montégut. »

 Il fallait fort peu de choses pour être considéré comme « hors-norme ». Justin Dours, mort en 1832, est nommé « fils naturel » de Marie Dours dans son acte de décès, parce que son père était mort un mois avant sa naissance! Ce Julien Dours choisit d'ailleurs de s'expatrier en devenant soldat, et finit sa vie à Strasbourg. Peut-être sa situation d'orphelin était-elle trop « pesante » dans le cadre de son  village natal... 

 Nous n'avons par ailleurs relevé dans tous les registres qu'un unique cas de naissance probablement illégitime. Le 13 nivôse an 6, le maire Sorbet enregistre sur le livre des décès la mort d'un bébé de deux mois, une petite fille trouvée « à la porte de l'église » peu après sa naissance, mise immédiatement en nourrice mais qui ne survécut pas à ce traitement.

 Bien entendu, il ne faut pas  faire une confiance excessive aux registres. Il existait partout des « accoucheuses d'anges », qui faisaient avorter les jeunes femmes mises enceintes hors mariage, et ces décès là ne sont jamais enregistrés sur les registres paroissiaux...

Le mouvement mensuel des naissances (1802-1813):
 

 Les naissances sont les plus nombreuses en automne et en hiver, les « creux » se situant au printemps et en été. C'est le schéma classique que l'on retrouve partout en France sous l'Ancien Régime.

On déduit facilement de ce graphique le mouvement saisonnier des conceptions (ici pour la période 1802-1813):
 
 

 Les pointes de conceptions se situent en hiver (les nuits sont longues et les travaux champêtres réduits...) et au printemps. Les creux, ce qui est logique, se situent dans les période de travail aux champs (labour, récoltes...). On n'a alors guère le temps ni sans doute l'envie de batifoler...
 
 Le taux de natalité s'élève à 32,8 pour mille en 1841, et à 27,3 pour mille en 1872: dans la deuxième moitié du siècle le fléchissement du nombre de naissances est sensible, et lié sans doute à l'évolution des modes de vie et des moeurs: la contraception progresse, et les familles avec peu d'enfants, voire un enfant unique, deviennent plus nombreuses.

 Nous n'avons pu restituer l'ensemble des arbres généalogiques qui auraient permis de calculer le nombre moyen d'enfants par famille et l'intervalle intergénésique (entre chaque naissance). Les quelques familles reconstituées indiquent cependant pour le 19e siècle des situations très variables, allant du couple seul aux familles nombreuses avec plus de cinq ou six enfants (selon la fortune, le milieu social...), le plus souvent deux ou trois. 
 Le premier enfant naît en général l'année qui suit le mariage dans les cas étudiés, mais ensuite les naissances sont plus irrégulières. Dans la famille de Jean Bonneau Turrogue étudiée plus bas, les cinq enfants connus naissent  en 1866, 1870, 1872, 1876, 1879. L'intervalle est ici un peu supérieur à celui de l'allaitement (environ deux ans). De même dans la famille de François Dours , où les dates sont plus rapprochées  (1859, 1862, 1863, 1865, 1866).
 

3-2-L'adolescence

 L'adolescence  était partagée entre deux grandes occupations: vaquer aux travaux des champs et de la maison et aller à l'école (au 19e siècle du moins). Très souvent, la première occupation primait sur la seconde. Au 19e siècle, les instituteurs se plaignent que les parents, faute de moyens, placent leurs enfants comme domestiques dès leur première communion effectuée (vers 11 ans). Très peu obtiennent leur Certificat d'Études Primaires.
 La situation des filles n'est alors guère brillante. Il faut attendre les années 1860 pour qu'une école publique de filles s'organise, et encore apprend-t-on surtout aux demoiselles à être de futures mères et maîtresses de maison, capables de cuisiner, coudre et repasser.
 On ne trouve nulle part trace de jeux ou d'insouciance. Il est vrai que les sources exploitées ne sont guère propice à ce type d'analyse. Il n'en reste pas moins que les jeunes envoyés garder les troupeaux ou ramasser le bois devaient trouver de nombreuses occasions de se rencontrer. Les fêtes patronales devaient être également, comme aujourd'hui, l'occasion de mieux se connaître et de se reconnaître par-rapport à « l'étranger » du village voisin.
 

3-3-Le mariage 

 Le mariage était l'occasion de la première grande rupture.
 Le jeune restait généralement dans la maison familiale jusqu'à sa majorité (25 ans) ou son mariage. Le mariage était souvent affaire de famille et il est certain que la plupart des unions étaient arrangées, dans le but essentiel d'arrondir les patrimoines. Les promesses de mariage révèlent parfois que la promise a tout juste seize ans... Pour le reste, il fallait s'accommoder de celui ou celle que le sort et les parents avaient choisi pour vous... ou aller voir ailleurs.  Si le garçon partait dans la maison de son épouse, il changeait de nom ou prenait le surnom de la maison qui l'accueillait. Par ailleurs, la fréquence des noms relevés à Montégut et dans les communes voisines entre 1755 et 1830 est assez forte: on n'allait pas chercher bien loin le compagnon de toute une vie, le voisin était souvent le cousin, et l'endogamie devait être assez forte. En 1755, on dénombre par exemple une dizaine de membres de la famille Castaing à Montégut et dans les villages voisins, dont quatre sont voisins directs à Soulès.

 Le mariage débutait par des tractations entre les deux familles, et aboutissait à une promesse de mariage qui était couchée sur le papier. Voici par exemple une promesse de mariage reportée par erreur sur le registre des décès en 1838:
«  Il y a promesse de mariage, entre le sieur Bertrand Cazaux, cultivateur, âgé de trente ans, fils légitime majeur de feu Pierre Cazaux tisserand, et de Geneviève Sorbet, mariés, tous domiciliés et habitants de la commune de Villecomtal, Canton de Miélan, département du Gers, d'une part:
Et entre Marie Dupuy cultivatrice, âgée de seize ans, fille légitime mineure de feu Pierre Dupuy cultivateur, et de Louise Bugard mariés, tous domiciliés et habitants de la commune de Montégut, susdit canton, (Gers) d'autre part.
La présente publication lue et de suite affichée à l'extérieur de la porte de la maison communale de Montégut, par nous Jean Mailles Maire officier public de l'état-civil de la commune de Montégut, à l'issue de la messe de paroisse le public assemblé. Montégut-Arros le 28 avril 1839, 

Le Maire. »

 Parfois ces mariages arrangés sans consentement réel des époux étaient violemment rompus, mais le cas est rare. En 1825 le tribunal de Mirande annule ainsi le mariage entre Marie Larrieu, couturière,  et Pierre Arrouy, cultivateur,  mariés depuis 1815, car celle-ci affirme que le mariage n'a pas été précédé de fiançailles, de cérémonie religieuse ni de « cohabitation » et que ce mariage lui a été imposé par la violence. Le tribunal accède à la demande et annule l'acte d'état-civil.

 L'âge au mariage est en général assez élevée: pour le premier quart du 19e siècle, les mariés ont 27,8 ans en moyenne (âges extrêmes relevés:19-26), les épouses 27,6 (âges extrêmes relevés: 18-41). Il fallait souvent attendre qu'un des parents décède, ou bien que l'époux soit assez riche pour permettre une installation du couple. Il arrivait aussi que l'on cohabite dans la même maison sur plusieurs générations, en attendant que les jeunes époux puissent s'installer, mais les conflits ne devaient pas être rares.

 Les mariages « tardifs » sont peu fréquents et sont généralement le fait de veufs, plus rarement de veuves, qui décident fonder un nouveau foyer. La plupart du temps les deux époux sont assortis en âge, mais on trouve également des couples dont l'écart d'âge atteint ou dépasse vingt ans. Par exemple en octobre 1824 Dominique Layerle, veuf de 49 ans, épouse Jeanne-Marie Bonneau de Rabastens, âgée de 29 ans. Je ne sais si le charivari était de rigueur dans cette commune, comme dans les vallées pyrénéennes, quand les jeunes du village « perdaient » une jeune femme au profit d'un barbon. La seule forme de « charivari » attestée, bien innocente, est la ribambelle de boîtes de conserve que l'on attachait, dès l'après-guerre, à la voiture des mariés. La tradition ne s'est d'ailleurs pas encore tout à fait perdue.

 Le mariage se faisait généralement dans le village de la mariée. Au début du 20e siècle, le convoi nuptial, avec à sa tête les époux, part à pied de la maison jusqu'à l'église, plus rarement en voiture à cheval. La côte de l'église est, même dans cette occasion, un  véritable obstacle! Les mariages se fêtent à Montégut généralement dans une grange qu'on a aménagée, tendue de draps et ornée de fleurs et de feuillages. L'orchestre est installé sur un char ou tombereau aménagé et on mange et danse toute la nuit. Les jeunes mariés s'éclipsent pendant la soirée, et les convives partent à leur recherche au petit matin -la tradition existe encore.
 
 

Le mouvement mensuel des mariages (1807-1840):

 Les mariages ont lieu au 19e siècle du printemps au début de l'automne, mais surtout en février, période « creuse » de l'année pour les travaux des champs. On se marie également -un peu moins- les autres mois de l'année. Le mois de mai, considéré dans d'autres  régions de la Gascogne comme un mois « néfaste », ne semble pas ici avoir de caractère négatif: on y rencontre autant de mariages qu'en juin.

 Sur la période 1843-1853, sur 61 mariages célébrés, 36 époux vivent à Montégut (60%), 25 viennent d'autres villages (40%). La plupart de ces jeunes forains viennent des villages voisins de Bigorre ou de Pardiac, à une trentaine de kilomètres à la ronde, jusqu'à Ossun (après Tarbes) et Sombrun (près de Maubourguet). On trouve également un espagnol d'Areu (région de Lérida), brassier d'une cinquantaine d'années installé depuis des années à Montégut, qui épouse une veuve de 47 ans.
 

 La durée du mariage est évidemment très variable selon les couples. Il devait durer en moyenne trente ans, soit l'espérance de vie des époux à la date du mariage. C'est souvent l'homme qui part le premier, comme l'atteste le nombre de veuves relevé dans les années 1830-1860, qui est le double de celui des veufs.

Courbes des mariages et baptêmes (1737-1790). Les lacunes des registres ne permettent pas de proposer d'interprétation globale ou de corrélation. On notera cependant l'importance des naissances (à comparer avec la courbe suivante).

 Courbe des baptêmes et mariages (1800-1882). On a une corrélation relative entre les deux courbes (sauf en 1870, au moment de la guerre franco-allemande) qui indique que le premier enfant venait en général moins d'un an après le mariage. On note également les fortes irrégularités, qui signent les crises et les départs, ainsi que la baisse progressive du nombre moyen de naissances de 1800 à 1880.
 

3-4-Le départ du village: l'émigration

 Certains villageois partaient vers la ville pour chercher du travail, dans les métiers du bâtiment, les usines, la finance... à Tarbes, Auch, Toulouse, Bordeaux ou même Paris. C'est le cas de Jean-Pierre Bonneau et d'une partie de sa famille, qui revinrent fortune faite à Montégut dans les années 1870. A une échelle plus modeste, en 1830, Denis Larrieu propriétaire de terres dans la commune (section D), est maçon à Paris.

 L'émigration vers l'étranger était par ailleurs un exutoire des pauvres et des cadets pour tenter la Fortune. La preuve en est donnée par la baisse importante et régulière du chiffre de la population, et par des mentions ponctuelles. Par exemple on retrouve dans le registre des décès que le 29 octobre 1852 Laurent Castay est mort à la Nouvelle-Orléans. L'extrait d'acte de décès, en anglais, a été envoyé par Baptiste Delord, natif de la commune mais également installé en Louisiane. Le 12 mars 1876, le conseil municipal accorde à Marie Larrieu l'autorisation de demander que son fils Alexis soit nommé soutien de famille, vu que son mari « le nommé Estébenet Baptiste habite en Amérique depuis une vingtaine d'années et qu'il ne donne nul secours à son épouse »2. Guy Sénac de Monsembernard a relevé pour la période 1863-1867,  pour le village de Montégut-Arros, onze départs vers les Amériques, 4 en 1864, 6 en 1865 et 1 en 1867, sur un total de 167 départs pour les deux cantons de Miélan et Marciac pour cette période3.

 D'autres, à la fin du siècle, tentent leur chance dans les colonies françaises en Afrique. Ainsi  le 21 janvier 1878, Léon Bergez est absent d'une réunion du conseil municipal car « actuellement parti en Algérie pour affaires de famille ».

 La meilleure analyse  du phénomène est fournie par l'instituteur Sarrelabout en 18994: 
« Depuis [1892] il y a recrudescence [du nombre d'élèves] par suite de l'émigration produite par la gêne que l'on éprouve à vivre sur la propriété, la population a très sensiblement diminué et la moyenne annuelle des naissances est tombée de 16 et même 18 à 6. [...] Pendant une période d'environ une douzaine d'années, de 1840 à 1860 l'émigration à Paris et surtout dans les pays étrangers (Amérique du nord et Amérique du sud) a été considérable. Des familles en entier quittaient leurs foyers pour entreprendre cette vie d'aventure qui a été si funeste au pays et si avantageuse aux pays qui les appelaient. Puis tout à coup l'émigration cessa ou à peu près pour reprendre quand les fléaux agricoles sont arrivés ».
 
 Le même instituteur explique ensuite que les enfants, qui restaient à l'école jusqu'à 15 ans, sont en cette fin de siècle placés (comme domestiques) dès la première communion faite, vers 11-12 ans, car les parents « peinent à les nourrir ».

 L'engagement dans l'armée est aussi une autre manière de chercher fortune et de voir du pays. Si plusieurs habitants sont mentionnés comme « anciens soldats » dans les actes du 19e siècle, en revanche beaucoup de jeunes laissent leur vie dans les aventures militaires des deux Empires, de la Restauration et des conquêtes coloniales de la IIIe République.
 Nous avons signalé plus haut les jeunes soldats décédés pendant les guerres napoléoniennes. En 1823, Pierre Dazet est mentionné au titre de canonnier au 20e régiment d'artillerie à pied. En 1824, Jacques Brunet, 21 ans, soldat, décède dans une infirmerie militaire de Lille. Le 26 février 1832, Justin Dours, ex-militaire, fils naturel de Marie Dours, meurt dans un hôpital de Strasbourg. Le 14 octobre 1837, Bernard Journé meurt à l'hôpital militaire de Bône, en Afrique du nord. Le 29 septembre 1838 décède Jacques de Davezac, âgé de 37 ans, de la 18e compagnie d'infanterie, compagnie hors-rang, à l'hôpital d'Aix-en-Provence. Le 31 février 1841 c'est Cyprien Journé, soldat infirmier, qui rend son dernier soupir à l'hôpital de Montpellier. Le 19 janvier 1842 meurt Arnaud Duffard, du 2e R.I. De Marine, à l'hôpital d'Auch. En 1843, le 28 juin, est mentionné le décès de Bernard Sorbet, fusilier de 23 ans, à l'hôpital de Bayonne. En 1848, Jean-Jacques Marrouy, soldat au train d'équipage, meurt à en Afrique à Mustapha. En 1852 est mentionée la mort à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce à Paris de Pierre Gourgues, chasseur au 19e léger. Meurt également Simon Milhas, chasseur au 3e bataillon d'infanterie légère d'Afrique, à Sétif en 1854 par suite de « chaleur épidémique ». Enfin en 1854 est signalé le décès de Dominique Bonnau, fusilier au 40e régiment d'infanterie légère, à Rome le 26 mai 1854, des suites d'une pneumonie tuberculeuse. Triste litanie.

3-5-La mort

 On mourait la plupart du temps chez soi, dans son lit: à l'exception des accidentés et des soldats, aucun habitant ne finissait ses jours, comme aujourd'hui, dans la solitude et la blancheur aseptisée d'une chambre d'hôpital.

 Sous l'ancien régime, le mourant, s'il en était capable, faisait venir un notaire et dictait ses dernière volontés. Le testament d'Arnaud Arroy, en 1523, est le seul exemple conservé dans la commune pour cette période, mais il est caractéristique: après les formules d'usage sur le caractère inéluctable de la mort et les formules juridiques assurant la validité du document, le testament se décompose en deux parties:
des donations pieuses à des institutions religieuses, pour assurer la survie de l'âme dans l'au-delà
les donations aux héritiers, ici les deux fils du mourant

 Le document se termine par l'annulation des testaments précédents et le nom des témoins, exécuteurs testamentaires et notaire. C'est un exemple de « bonne mort »: le mourant a mis en ordre ses affaires terrestres avant de monter au ciel. En général le prêtre venait à la suite administrer les derniers sacrements, la famille et les amis restaient là jusqu'à la fin: la mort était un spectacle, il fallait montrer de la dignité jusqu'au bout.

«Testa[ment] d'Arnaud A[rroy] Aruse du lieu de Montagut receu par Arnaud Fessian notaire de la ville de Rabastens le 23 février 1523.

 Au nom de Dieu amen. Sachent tous presens et advenir, que comme ainsin soit qu'en ce monde n'est chose plus certaine que la mort, et chose plus incertaine que l'heure d'icelle, et comme un chretien de son age tandis qu'il est en bonne mémoire, et sain de ses sens et entendement pour disposer et ordonner de ses biens et choses afin qu'apres son decez et trepas, aucun procez, debat, querelles, et autre question ne survienne entre les enfans, parens d'iceux et autres qui pourroient avoir en ses biens de conteste; que le jour d'aujourd'hui est le troisieme fevrier mil cinq cens vingt trois, regnant Charles par la grace de Dieu Roy de France, et par la meme grace, Antoine, et Jeanne Roy et Reyne de Navarre comtes de Pardiac, au lieu de Montagut avant midi. Comme et dans la maison de Arnaud Arroy, dit Aruse, pardevant moy notaire roial soubsigné.
Presens les temoins bas nommé, constitué en sa personne ledit Arroy Aruse, lequel etant dans son lit malade de quelque maladie corporelle, sains toutefois de ses sens et entendement, considerant toutes les choses susdites, et etant en parfaite memoire, bien et distinctement parlant, voiant, oiant et connoissant, desirant pourvoir au salut de son ame, et disposer, et ordonner suivant sa volonté de ses biens et facultés que Dieu lui a donnés dans ce monde, de son bon gré, pure et agreable volonté a fait et donné son dernier nuncupatif testament en la forme qui s'ensuit.

Et premierement a fait le signe de la croix disant in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sanctus amen. Aprez avoir recommandé son ame a Dieu le Père tout puissant, et apres Christ son fils, qui vient vouloir avoir pitié, et misericorde de lui, pour l'amour de son fils, se reconnaissant abominable pecheur, se soummetant de tout a sa misericorde et clemence; et quand il aura fait son plaisir de lui, son ame sera detachée de son corps, a dit qu'il veut que son corps soit inhumé au cimetière de l'église de la Carce dud. Montagut et au lieu ou ses prédécesseurs ont accoutumé d'etre enterrés.
Item a pour de ses biens que Dieu lui a donnés.

SCAVOIR est la somme de soixante escus petits pour etre distribuée par les exécuteurs testamentaires bas nommés en la forme que s'en suit. Premierement de lad. somme a légué et laisse a l'Eglise cathedrale de tarbe un gros, qui font quatre liards et demi le gros. Item de ladite somme a légué led. testateur aux quatre ordres de pauvreté a chacun d'icelles un gros comptant comme dessus. Item a légué a la frairie de Notre Dame du présent lieu douze ardits. Item a voulu et ordonné led. testateur que de lad. somme soit fait un obit par les héritiers bas-nommés du capital de douze escus petits, lequel veut que soit chanté par les recteur et pretres de Montagut annuellement en tel jour que son corps sera enseveli avec messe haute diacre et sous diacre. Item veut et ordonne led. testateur que lad. somme soit soit chantés deux trenteins.
[Item led.] testateur fait et de sa propre bouche [nomm]e ses heritiers generaux et universels scavoir est Jean et maitre Pierre Arroy ses fils naturels et légitimes a la charge de payer tous les debts qui se trouveront etre deus par led. Testateur avec les leguats dessus exprimés.
Item a voulu et ordonné que si sesd. heritiers viennent a décéder sans enfanz nez de légitime mariage, et sans faire testament en ce cas veut et ordonne que la part de celui qui ainsin seroit décédé se trouve au survivant ou survivans; et pour exécuté le contenu audit testament a fait ses exécuteurs testamentaires maitre Arnaud de Lous, Pey de Soubes dit de Hilhonou, et Arnaud Arroy dit de Arnautas. 

CASSANT et annulant tout autre testament que parsidevant pouvoit avoir fait, veut que celui-ci ait vertu et efficace, et ne pourroit valoir pour testament, veut qu'il vaille pour droit de codicille, ou donation faite entre vifs irrévocable et autrement en la meilleure forme que pourra valoir et tenir, en présence de Pey de Sorbet dit de Hilhonou, Arnaud Arroy, dit Arnautas, de Domenge de Greu dit Perissou, maitre Arnaud de Lous, Vidales Lena, Peyrot Arroy, dit Jean Galet, et Domenge de Lousault, dit Picou, temoins a par led. testateur priés et signés, et de moy Arnaud Fessian notaire de la ville de Rabastens, qui requis ai retenu le présent instrument et fait greffier etant requis des heritiers pour autre main a moy fiable, et signé de mon seing circonstancié et accoutumé, en foy de tout ce dessus, desia ainsi signé. »
  
 Au 19e siècle cette tradition commence à disparaître: le départ des jeunes et des couples vers la ville et l'étranger sépare les familles, les anciens restés au village sont souvent seuls quand le dernier moment arrive.

 Dès que le décès est connu, deux voisins préviennent le maire (ou les consuls avant 1791) et le curé. Ils doivent se charger également de la plupart des formalités, notamment accompagner le premier édile venu vérifier la réalité de la mort.

 Jusqu'à la deuxième moitié du 20e siècle, les traditions étaient précises, mélange de piété et d'antiques superstitions. Les volets de la maison du défunt étaient fermés. Tous les travaux quotidiens étaient suspendus. Une pièce (la chambre souvent) était aménagée pour accueillir la visite des voisins. Le mort, lavé et habillé, « recevait » là une dernière fois ses proches et ses amis. Au moins un cierge brûlait dans la pièce, et de l'eau était placée près de l'entrée pour que les visiteurs puisse bénir la dépouille. On sonnait le glas au trépas. Le lendemain, rarement plus tard, le cadavre était enlevé et porté sur le corbillard de la commune jusqu'à l'église et au cimetière. La montée devait être très lente et pénible jusqu'au sommet de la colline. La messe dite, le corps était déposé dans une fosse ou le caveau familial. La confrérie payait le cercueil (en bois de peuplier, bon marché), sauf si le défunt avait prévu un cercueil plus coûteux en chêne, qui était alors à sa charge ou à celle de sa famille.
 Jusqu'à la fin du 18e siècle, les habitants de la vallée se faisaient souvent enterrer dans le cimetière de l'église Notre-Dame-de-Lacarce. Cette église se substituait alors à l'église paroissiale, difficile d'accès.
La cérémonie terminée, on prenait un repas léger5.

 Au bout d'un mois, une messe était célébrée pour l'âme du disparu (la « messe du bout du mois »). De même au bout de l'an. Le cercueil, symboliquement, était remplacé par des tréteaux qui portait un drap sombre, et entouré de cierges peints en noir6. Un drap mortuaire orné de six têtes de mort en argent servait à recouvrir le vrai cercueil et le « cercueil symbolique » en 18407.
 Les plus fortunés faisaient dire plusieurs messes ou fondaient un obit. Jean-Pierre Bonneau, qui avait fait bâtir une chapelle sur sa concession, avec un autel en marbre, avait prévu une série de messes pour le repos de son âme et de sa famille. 

Mouvement mensuel des sépultures (1807-1817):
 

 Au début du 19e siècle on meurt surtout à la fin de l'été, en automne et à la fin de l'hiver. Les organismes des plus jeunes et des plus âgés sont alors affaiblis par le climat (chaleurs d'août, froid et pluie de la fin de l'hiver...) et sont plus sensibles aux micro-organismes et autres virus qui frappent alors. Plusieurs épidémies touchent ainsi les enfants vers les mois de septembre-octobre au cours du siècle.
  
 La mortalité est forte chez les nouveaux-nés et les plus jeunes (4-5 ans). Parmi les morts d'une année, les enfants représentent souvent près de la moitié des décédés, parfois jusqu'aux trois-quart dans les périodes épidémiques (1814-1815...).
 L'adolescence et l'âge adulte sont bien moins meurtriers. La plupart des jeunes hommes décédés dans la première moitié du 19e siècle sont des soldats, qui ont connu des conditions de vie particulièrement difficiles, « hors-normes ». Les accidents étaient rares également: nous avons relevé un unique exemple de noyade dans l'Arros d'une jeune femme d'origine espagnole en 1823.
 Les courbes de décès commencent à remonter vers 50 ans, mais on trouve en fait beaucoup de vieillards solides qui meurent à 80, 90 voire 100 ans. Celui ou celle qui avait survécu aux maladies infantiles pouvait ainsi espérer vivre longtemps.

 Le taux de mortalité s'élève à 18,93 pour 1000 en 1841, et à  15,89 pour 1000 en 1872, ce qui correspond aux moyennes enregistrée dans la région. La diminution de ce chiffre au cours du siècle est sans doute à lier aux progrès médicaux (?).

 Les causes de la mort sont difficiles à déterminer. Si on fait abstraction des cas les plus âgés, morts pour beaucoup sans doute de « mort naturelle », on peut tenter de proposer quelques facteurs. La courbe mensuelle révèle que la période avait une influence: en hiver les habitants les plus modestes, qui avaient froid et faim avant les autres, étaient particulièrement vulnérables. L'analyse des courbes de mortalité des enfants et des nourrissons indique également ponctuellement des crises épidémiques, dont la nature n'est pas précisée (on peut tout imaginer ici, de la dysenterie aux maladies infantiles les plus diverses). Seules les morts des soldats sont explicitées: « fièvres » et maladies pulmonaires ont emporté la plupart d'entre eux. 

 Courbe des décès, et courbe des décès infantiles (moins de un an) de 1800 à 1856. Les irrégularités sont fortes, et doivent être liées aux crises économiques, climatiques et épidémiques pour l'essentiel. On remarque que les décès d'enfants précèdent souvent celle des adultes (personnes âgées): les plus jeunes étaient aussi les plus sensibles aux épidémies et aux crises.
 
 

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Dernière modification : 1/03/02